« CHAUD DEVANT » OU « PLUS DE SOUPE AU RESTAU »

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C’est « Germaine »

alias « Bobonne » qui

m’en a donné le goût.

 

 

 

 

 

 

 

Bobonne est un nom à caractère affectueux en français de Belgique. Il désigne la grand-mère quand celle-ci est chaleureuse, confectionne des petits plats et ... vous colle un peu toutefois. De même, « une petite bobonne » s’emploie pour parler d’une mammy menue et gentillounette.

 

La mienne m’a élevé jusqu’à l’adolescence, ou en tout cas laissé grandir sinon éduqué. Elle m’a aussi appris à lire, par la méthode analytique : c’était une instit. précocement partie à la retraite. Pour le couvert en tout cas, elle mérite trois étoiles, cinq toques et 20 sur 20. Enfin, on buvait bien, et bien avant l’âge de raison. A table j’avais droit – en fait, j’y étais contraint – à goûter à tous les vins servis, dans un petit verre adapté à la taille de ma bouche. Ce n’est que plus tard que j’ai attrapé une grande gueule. On me servait en petite quantité, mais sans adjonction d’eau : nul « vin d’oiseau » chez les Demeulenaere. Les étiquettes portaient des noms que je n’ai jamais oubliés : Piesporter, Moulin-à-Vent, Fleurie, Gigondas, Châteauneuf-du-Pape, Sancerre, Vouvray, Meursault, Puligny-Montrachet, Aloxe-Corton, Gevrey-Chambertin, Croque-Michotte, La Dominique, L’Evangile, Gewurztraminer et parfois Pommery. Celui-là, je ne l’aimais pas du tout, déjà !

 

Bobone préparait beaucoup de soupes. Généralement, on « en avait pour son argent ». C’était de la vraie sousoupe, pas « du semblant ». Sa préférée, vite adoptée, était la soupe aux tomates, épaisse et savoureuse, légèrement acidulée. Elle la poivrait généreusement, y ajoutait une rasade de crème fraîche, beaucoup (trop ?) de persil haché et, parfois, des ballekes, petites boulettes de haché mélangé veau/porc très aromatisées à la noix muscade. Mon père détestait les tomates et entretenait une relation conflictuelle avec sa belle-mère. D’une part, il ne rentrait pas dans ses perpétuelles luttes d’influence car elle était très manipulatrice et disait que c’était un « mauvais gendre », mais d’autre part elle le trouvait « un bon mari pour sa fille », une honnête concession. Enfin, ils étaient tous deux francs-maçons, ce qui entraîne apparemment certaines obligations réciproques, m’a-t-on dit. Mon père adorait les crustacés, tous les crustacés et, en toute logique, Bobonne avait trouvé un moyen terme pour concilier le fruit/légume rouge et le homard bleu : de la bisque. Cette fois, il n’y avait pas de boulette, mais toujours une généreuse dose d’un mélange détonnant : une part de Bas-Armagnac et une part de Fine Champagne. Je vous rappelle que « la cuisine française est la meilleure au monde, quand ce sont les Belges qui la préparent ». Dans les Pyrénées Orientales, le dicton s’applique aussi car une des meilleures toques était Bart Thoelen lorsqu’il s’affairait au piano de Laroque-des-Albères : un Limbourgeois en pays catalan.

 

Un autre potage favori, et voisin dans l’esprit, était l’oxtail. Je pense qu’une « boîte » servait cependant de point de départ à la fin de sa vie, à moins que Bobonne, avant d’atteindre le troisième âge, ne se fût astreinte à préparer le consommé de base elle-même. Je me souviens très bien des petites billes de tapioca, comme nacrées, qu’on savourait goulument à la fin de l’assiette. Sa version tenait un peu de la soupe à l’oignon aussi, car elle pratiquait l’outrance sans excès. En vérité, elle remplaçait toujours l’oignon par des échalottes.

 

Enfin, impossible de taire la « soupe au cerfeuil ». Voilà bien quelque chose d’exquis, mais qui doit être préparé à la dernière minute et bu sur le champ, sous peine d’oxydation irréparable. Son bouillon à elle ne contenait pas trop de pomme de terre et aucun liant, ce qui est parfait : la verdeur de l’herbe aromatique, son côté acidulé, sa belle teinte me régalaient. Ici aussi, des boulettes venaient compléter l’assiette de temps à autre, mais du hachis de veau uniquement. Personnellement, je me réjouis du retour en grâce du cerfeuil, du serpolet, du pourpier, de l’oseille, de la marjolaine ... Evidemment, ces simples détruisent tout l’attrait du ketchup !

 

Voilà : j’aime les soupes, qu’elles soient bouillon, consommé, brouet, minestrone, bouillabaisse, bisque, potée, garbure, zarzuela ... et je déplore qu’on ne nous en propose pas plus dans les restaurants gastronomiques. Moi, chaque fois que j’en vois à la carte ou au menu, je les réclame.

 

Mes quatre derniers souvenirs sont récents : la crême de cèpes chez les frères Planes à Saillagouse, l’immense velouté de foie gras de Serge Chenet juste en-dessous d’Avignon (à Pujaut), le minestrone au homard de Samuel Lacoste, second à la Pomarède et ... il y a 3 jours, le consommé à la tomate de Christophe Comes. C’est ce dernier, ou plutôt les critiques imbéciles que j’ai lues à son sujet, qui m’inspirent cette chronique. L’une d’elles disait en substance : « Si c’est pour avaler de la soupe qu’on m’invite dans un étoilé Michelin, autant m’emmener au macdo ».

 

Bien sûr tout ce qui est excessif est sans intérêt mais je suis espanté (= ahuri) devant la multiplication des critiques acerbes envers les bonnes tables. Les gens paient pourtant cher pour s’asseoir dans les belles adresses. Au lieu de chercher à y prendre le plus de plaisir possible – comme Christine et moi – ils ne connaissent de cesse que prendre des photos sur leur portable et « casser du chef » dès qu’ils sont rentrés chez eux.

 

La composition dont il était question est en fait la fameuse « déclinaison de tomates », le morceau de bravoure de ce restaurant. Monsieur Comes senior entretient une paire d’hectares de potager et de jardin aux simples du côté d’Ille-sur-Têt, comprenant plusieurs centaines de plants de tomates de variétés diverses. Dès que la maturité le permet, et jusqu’à la fin de la fin de la saison, Christophe Comes les accomode de toutes les façons, de sorte que la carte (ou le menu) en propose durant toute cette période. Lors de notre festin – l’incontournable « menu confiance » - il y avait dans l’assiette quelques dés de morue parfaitement dessalée à peine rôtie et une douzaine de propositions de tomate : en glaçon, en gaspacho, en jus, en pavé, en mirepoix, en brunoise (là, j’exagère), en pommade, en mousse, en rouge, en rose, en vert, en jaune, en noir, Roma ou Crimée, ananas ou coeur de boeuf. Par-dessus, l’assaisonnement faisait appel à du basilic mauve, à du thym citron et ... à un consommé que l’on vous verse à table, à volonté, à foison, ad libitum et ad fundum. Croyez-moi sur parole, c’est exquis. Voilà la « soupe du macdo » dont se plaignait un/une internaute.

 

Nos voisins mangeaient à la carte et s’étaient laissés séduire par les suggestions du jour, dont la déclinaison de tomates, façon XXL. Une assiette qui aurait pu contenir les 13 desserts d’une Nativité chez Frédéric Mistral présentait encore plus de tomates et des gambas sous différentes formes. Avec discrétion – nous ne sommes que d’humbles fournisseurs, travailleurs de la terre en plus – nous avons également mangé des yeux le plat de ces clients.

 

 

Avouons-le tout de go : mon nez

a participé à ces agapes également,

et cela vaut encore plus pour Christine !

 

 

 

PS : Il y a presque 25 ans, j’avais réservé une table chez M. Jung alors que personne ne savait qu’il venait de décrocher son troisième macaron. La mère de la Loute - qui ne l’était pas encore - et moi sommes arrivés à Strasbourg sur le coup de 21 heures, par un brouillard à couper au couteau. Le service, fier de sa récente promotion qui entretemps était devenue publique, nous accueillit de manière hautaine : Dame, ça mange de bonne heure, un protestant haut-rhinois ! Cela ne m’a pas arraché des larmes de ... crocodile (drôle). Et mon entrée, un consommé de légumes magistral, a balayé toutes les appréhensions. Je m’en souviens encore.

 

 

Légende : ce polaroid® fut tiré à Sars-Poteries (sur la terrasse de l’Auberge Fleurie, je pense) dans l’Avesnois, le 22 mai 1976. On y reconnaît à gauche Annie, alias « maman Picpic » car elle était l’épouse du pédiatre qui nous faisait les vaccins, et ma grand-mère au milieu (âgée de 73 ans à l’époque). Je ne reconnais pas l’autre protagoniste.

 

 

 

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