LE JUSTE PRIX DU VIN SUR TABLE

Je lis plein de choses à ce sujet, ailleurs que dans la presse « papier », bien entendu.

 

 

Celle-ci est de plus en plus inféodée aux grosses compagnies agro-alimentaires du vin, ou aux chaînes de la restauration et aux guides gastronomiques. Mais la discussion revient sur les blogs d’amateurs éclairés. Le plus souvent, ce sont même d’anciens journalistes ayant investi ce media-là, souvent avec talent et pertinence, parfois en parallèle avec leur activité principale qu’ils continuent d’exercer.

 

Quelques constats s’imposent.

 

La Belgique et la France, la Hollande aussi, partagent la particularité de voir les restaurants proposer leurs vins à des prix multipliant par 3, 4, 5 ou même plus celui qu’un amateur paiera la même bouteille chez un caviste « honnête », sans même parler des campagnes de dumping, bradage et autres «liquidations » de la GD.

 

En Espagne, en Italie et au Portugal, ce n’est pas le cas : on y double généralement.

 

En Allemagne et en Autriche, en Suisse aussi, la situation est intermédiaire.

 

Dans les pays nordiques, les taxes sur l’alcool faussent le jeu et le Royaume-Uni fait bande à part, comme d’habitude.

 

Depuis qu’on a assassiné Trotsky, je ne vais plus dans les Pays de l’Est et ne peux vous renseigner.

 

Je ne me rends plus à Mexico non plus, pour la même raison.

 

Dans le même ordre d’idée, l’assiette se paie plus cher, toutes proportions gardées, dans les pays où le vin est meilleur marché au restaurant. Un plat est plus onéreux en Allemagne qu’en France, à niveau de qualité et de prestige égal, mais le vin y est moins cher. Il ne faut pas se leurrer : un restaurant doit vivre, et pour vivre (et donc payer ses salariés et ses charges, accessoirement ses vignerons fournisseurs), il doit dégager un bénéfice, que ce soit sur la nourriture, sur les boissons ou sur les deux.

 

Pourquoi paie-t-on la boisson (l’eau aussi) plus cher au restaurant que chez le marchand de vin ?

 

Tout d’abord, parce que sa livraison, son stockage, sa garde, son service et le conseil qui vont avec entraînent des coûts.

. livraison : livrer 6 bouteilles, ou même 36, au fin fond de la Lozère, de la Creuse, de la Savoie, aux heures qui conviennent pour ne pas encombrer pendant le service, ce n’est pas pareil que d’envoyer une palette, pendant les heures de bureau, chez un marchand de vin lyonnais, parisien ou bruxellois.

. stockage : quand le vin a attendu 3, 6 ou 40 ans dans la cave du restaurateur (d’accord, c’est de moins en moins fréquent), il n’a pas pu disposer du capital que cela représente et donc le vin s’est renchéri pour une raison purement comptable. Les cavistes, en règle générale, ne vendent pas de « vieux vins », et ne les achètent pas non plus aux vignerons qui en ont. En plus, une cave de restaurant bien fournie doit s’assurer contre toutes sortes de dégâts, et le vol.

. sa garde : elle entraîne des pertes (vol extérieur ou interne, goût de bouchon, bouteilles couleuses, accidents, panne d’airco : du gel, cela s’est vu ou la canicule, désaffection pour un style de vin jadis à l’honneur ....)

. son service : frais de mise à température, verrerie, cérémonial (carafe, décanteur ...)

. le conseil : un bon sommelier constitue un « plus » indéniable mais représente un poste de coût supplémentaire. Il s’agit – pour les bons – d’un personnel hautement qualifié, qui doit aussi se recycler sans cesse, ce qui entraîne pas mal d’absences, à compenser financièrement et par un surcroît de personnel.

 

 

Ensuite parce que certains restaurants proposent des vins (quasiment) introuvables dans le commerce (ex : la syrah de Fonsalette à la Beaugravière de Mondragon). Ils vous offrent là un service exceptionnel.

 

Enfin, parce que les « frais généraux » de l’établissement, de l’entretien du parking ou du jardin à l’éclairage de la piscine quand il y en a une en passant par le personnel du vestiaire ou l’entretien des toilettes, doivent être supportés par l’ensemble des services fournis.

 

Donc, qu’on le veuille ou non, le vin doit être majoré.

De combien ? Je ne suis ici pas un conseilleur (mais parfois un payeur).

Les vignerons en sont même souvent victimes : nous aimerions que plus de nos vins soient consommés au restaurant, et nos meilleures cuvées.

 

Plus l’assiette sera rétribuée à sa juste valeur, car finalement, c’est à cela qu’on juge un bon chef et une bonne équipe, moins l’établissement sera obligé de se « rattraper » sur les boissons. Où mettre la barre, cela, il n’appartient pas au vigneron d’en décider.

 

J’ai quand même une piste.

Est-il logique d’appliquer un « coefficient » ? Je ne le pense pas.

Si le sommelier a découvert, ou si le vigneron lui a fait connaître (comme nous essayons de le faire) un cru moins prestigieux, mais exquis, il faut quand même que la trésorerie du restaurant s’y retrouve. Prenons un exemple flagrant, voire même deux : le Muscadet de Sèvre & Maine ou la Manzanilla. Ces deux vins peuvent atteindre des qualités inattendues et continuent de ne pas obtenir de prix décent. Si vous achetez 4 euros un bon Muscadet et le revendez à 15, vous avez fait un bénéfice – je ne parle pas de marge procentuelle – rikiki.

Si vous achetez une bouteille (pas une caisse !) de Petrus jeune, et le revendez ne serait-ce que trois fois son prix, vous avez doublé le chiffre d’affaires de la salle entière !

 

Solution : ou bien retenir un coefficient variable, et de moins en moins élevé à mesure que le prix d’achat augmente, ou bien carrément un « bénéfice » fixe, sorte de droit de bouchon universel. Plus subtil encore, un « droit de bouchon » augmentant légèrement avec la valeur de la bouteille.

 

Si vous déterminez que votre établissement doit « gagner » 30 € par couvert pour entrer dans la rentabilité que vous souhaitez obtenir, il est tout à fait possible de faire 20 € de bénéfice sur l’assiette, et 10 € sur le vin. En moyenne bien entendu.

Si votre établissement est plus chic, et donc les frais bien supérieurs, vous pouvez arriver à faire 40 € sur l’assiette et 20 € sur le vin etc .... jusqu’au niveau attendu.

 

Quel avantage pour le consommateur amateur de vin – et mon postulat reste que la plupart des gourmets sont aussi amateurs de bon vin ?

Clairement, il pourra accéder à de plus jolies bouteilles (généralement plus chères, même si ce point peut se discuter) chez les chefs. Or, ceux-ci préparent justement des plats qui demandent, ou même s’améliorent encore à leur contact, des grands vins.

 

Quel avantage pour le restaurateur (à addition identique, bien entendu) ?

Il attirera chez lui plus souvent ce genre de client et ... sa salle sera plus remplie. Il ne vendra pas forcément plus de vin (quoique ...), mais il en vendra du meilleur et sa cave aura une rotation plus intéressante. En effet, il faut quelques bouteilles « haut de gamme », voire même « milieu de gamme élevé », mais il est économiquement coûteux que celles-ci « dorment » en cave.

 

Je m’approche doucettement de la soixantaine. Mes amis d’enfance forcément aussi. La plupart d’entre eux aiment le vin (ce sont mes amis). La plupart d’entre eux ont une cave à vin, ou boivent du vin chez leurs amis, leurs proches etc .... La plupart d’entre eux ont « réussi dans la vie », sont cadres supérieurs, indépendants aisés, professeurs d’université ... Et la plupart d’entre eux me disent pourtant qu’ils ne veulent plus payer des sommes astronomiques, qui doublent ou triplent l’addition, pour des bouteilles qu’ils ont en cave ou bien des flacons similaires. Et, comme ils continuent à bien aimer boire un vin de qualité, ils se sont mis à cuisiner, ou bien leur compagne, à un niveau très décent, pour bien manger chez eux, et bien boire. Ils vont donc moins souvent au restaurant et, quand ils y vont, ils évitent les bouteilles chères. De même, ils fréquentent de préférence les établissements où, à qualité de plats égale, la carte des vins est moins chère.

 

Donc, sans donner de conseil à quiconque,

et en réalisant que je suis partie prenante dans ce discours,

il me semble qu’une modération dans le prix des vins en restauration augmentera la fréquentation des salles,

permettra de renchérir le prix des assiettes 

et augmentera la satisfaction des clients.

 

 

 

 

PS : Maintenant, il est juste aussi de dire que certains restaurants s’adressent à une catégorie de clients pour qui le prix n’a aucune importance. Peut-être même est-ce l’inverse : un produit sera d’autant plus apprécié qu’il a coûté cher. Mais il s’agit là de telles exceptions qu’elles ne nous concernent guère, ni moi comme vigneron, ni vous comme consommateur.

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Juicer Reviews (lundi, 15 avril 2013 01:45)

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