UN SUR LA DROITE ET UN SUR LA GAUCHE







Je n'ai pas toujours

été aussi critique

du Bordelais

que maintenant.










J'ai même passé quelques vacances dans un pavillon près de Castillon-la-Bataille et j'ai fêté un de mes anniversaires préférés au domicile privé de Claude Ricard, par un concours de circonstances inouï. On m'y a traité comme un prince, sauf que Claude m'a littéralement ri-di-cu-li-sé dans le maniement du bilboquet. Ce grand vigneron est aussi un homme d'une habileté manuelle exceptionnelle: pianiste virtuose (Liszt et Chopin), tennisman de première force ... 


D'aileurs, je ne suis pas du tout un "anti-Bordeaux primaire", je vais vous le prouver.


Jusqu'en 1986 (je parle du millésime), et même quelques 1988 encore, j'ai régulièrement acheté, en primeur chez des importateurs sérieux et même parfois dans la GD à cette époque, plusieurs caisses de vins du Médoc, des Graves, de Saint-Emilion, de Pomerol et de Fronsac chaque année.


Le but de ce billet-ci n'est pas de vous parler des causes de ma désaffection progressive. Pour simplifier, les deux principales furent l'arrivée de techniques sophistiquées comme l'osmose inverse et la montée en puissance d'un individu dont la personnalité m'est antipathique, M. de Boüard. Passons.


Rive gauche - Sociando-Mallet 1985


En Belgique, tous les amateurs connaissent l'histoire, que dis-je, le conte de fées de M. Gautreau. Ce fils d'agent d'assurances de Lesparre, étranger au monde du vin, se retrouva à acheter les 5 ha d'une propriété viticole délabrée à Saint-Seurin-de-Cadourne, en 1970. Je ne l'ai jamais rencontré mais j'ai bu au moins 20 millésimes de son vin, le meilleur - aucune idée sur les 10 derniers - ayant été 1990. 


Actuellement - pour moi le "deuxième vin", cette supercherie bordelaise, fait partie du même lot - il vend près d'un demi-million de bouteilles par an. Je crois que le vignoble s'est un peu agrandi ! 


Le 1985 que j'ai bu l'autre jour, 30 ans d'âge, jouissait d'un bouchon dense et intact, ayant conservé optimal le niveau dans la bouteille. Quand c'est ainsi, je ne vois pas d'objection au liège. Mais vous m'en direz tant.


Je l'ai carafé une demi-heure, car une pointe de volatile, et d'aldéhydes, et de "moisi" parasitait la netteté du nez. Après ce délai, la robe encore pourpre annonçait l'entrée en piste olfactive du cabernet bien mûr, avec cette nuance de cuir que donne le vieillissement à tous les vins, surtout quand ils ont vu le bois. La bouche, vive à l'attaque, possédait un corps bien gras, des tannins fermes mais pas rugueux et aucun assèchement en finale. Tout au plus aurais-je aimé un petit degré d'alcool en plus, pour la rondeur. Mais c'est sans doute une déformation professionnelle de la part d'un vieux vigneron sudiste. Une excellente bouteille à tous égards. Christine pensait que c'était du mourvèdre, un compliment sous le toit de Luc Charlier.



Rive droite - Magdelaine 1982


Tout autre scénario ici. L'écurie Moueix, un des "gros" du Libournais, avait confié à un homme exquis, que j'ai eu l'occasion d'héberger chez moi à Wemmel et à qui j'ai rendu visite sous l'éolienne antédiluvienne à Trotanoy, Jean-Claude Berrouet, la tâche de vinifier la plupart de ses vins. Cette propriété-ci, partie sur la côte, partie sur le plateau, produit entre 30.000 et 40.000 bt d'un vin devant tout au cabernet franc et au merlot, ainsi qu'à un boisage "solide", bien dans le style de la production de ce négociant à l'époque. 


Le bouchon est venu en 3 fois, vérolé, miteux, sentant fort et il manquait un centimètre de vin dans le goulot. Ici, clairement, une capsule à vis aurait été préférable. Mais les années '80 ignoraient ce bouchage en Europe (sauf la Suisse).


Après 30 minutes de carafe, la robe avait repris une teinte plus dense et moins orangé, comme on l'observe souvent. Bizarrement, le nez rappelle surtout le merlot, avec ce côté un peu ferreux (rouille) et "chaud", au début. En bouche, le vin est soyeux, presque fluide, et les tannins sont très veloutés en finale; voilà réellement quelque chose de très suave. J'avais préparé une côte de veau du Ségala, simplement grillée pour moi, mais accompagnée d'une sauce à base de Coulommiers + crème fraîche pour Christine. L'accord s'avéra très réussi.


Alors, vous voyez que je sais rendre à l'Aquitaine

ce qui a toujours appartenu aux Anglais ! 



Écrire commentaire

Commentaires: 2
  • #1

    COBBOLD DAVID (lundi, 16 mars 2015 13:16)

    De bons souvenirs, dont je partage en partie la quintessence. J'ai rencontré Jean Gautreau à deux ou trois reprises en j'ai encore de son 1986 dans ma cave (ce vin est un un peu austère, je dois dire); Un homme avisé et délicieux, qui disait toujours viser le rendement maximal pour son appellation, car, si les vignes sont plantées avec la bonne densité et sont en bonne santé, il n'y avait pas de raison d'en faire moins. Berrouet est un grand amateur de rugby, donc quelqu'un qui a toute ma sympathie. De plus j'ai dégusté son Irouleguy blanc il n'y a pas longtemps et il m'a ébloui.

  • #2

    Luc Charlier (lundi, 16 mars 2015 16:17)

    Merci de cet éclairage, David. Le sol médocain est TRES riche, quasiment trop pour la vigne en fait. Contrairement à ce que bcp croient, les vins du Médoc et des Graves ne gagnent pas toujours à être "super-concentrés". L'important est la maturité, qui n'est pas toujours atteinte. A S-M, on a très rarement (j'ai eu du 1984 pourtant) des tannins verts et âpres. Avec un bon arbre foliaire et des vignes d'âge moyen (ce qui est le cas ici), et en vendangeant à la bonne date, les 60 hl/ha sont effectivement envisageables.
    Je n'ai pas discuté rugby avec M. Berrouet. Tu sais, c'était au milieu des années '90 environ et pour moi, perdu au milieu des "vrais journalistes" à l'ancienne, au gros ventre et à la prétention sans fin (malgré leur incompétence), le fait de l'avoir en visite à la maison, rien que pour moi, constituait une sorte de cadeau du Père Noël. Je posais des questions, et des questions, et des questions. Le petit peu que je connais en viticulture et en oenologie, c'est mon contact avec des gens comme lui qui me l'a appris. Idem pour la médecine, j'étais un stagiaire très assidu, stackanoviste et impliqué. Je ne suis pas très intelligent mais je crois avoir le sens de l'observation et une bonne faculté de concentration ... quand je veux.