ET SI ON TAILLAIT UNE BAVETTE ?

Bandol 1994, longue garde (Domaine Lafran-Veyrolles)
Bandol 1994, longue garde (Domaine Lafran-Veyrolles)

 

 

 

 

 

De Vincent Pousson

à Jacques Berthomeau,

les blogs se mettent

à la viande,

ces derniers temps.

 

 

 

 

 

 

 

On va faire comme eux.

Un arrêt à Aumont-Aubrac, cette bourgade bourgeoise cossue accrochée en bordure d’A 75, et accessoirement de Camí de Santiago, coincée entre l’Aubrac aveyronnais et lozérien, s’est soldé par une visite à un boucher local dont la vision assez « traditionnelle » du monde me plaît moins que la qualité de sa viande. Nous échangeons des vues chaque fois qu’il me sert.

Cette fois, après qu’il m’eût expliqué pourquoi un chirurgien c’est plus important qu’un mécano et que les chefs ont « tous la grosse tête » - son épouse est infirmière libérale et très aimable ; elle n’est pas trop habituée à trancher l’arc vertébral des côtelettes, par contre – c’est un morceau de bavette bien rassi qui avait rejoint mon cabas, presque du gibier. Et comme il n’était pas suspendu à une potence, ce n’était pas un « cabas-gibet ». Les Catalans comprendront.

 

Première digression : qu’est-ce que la bavette ?

Elle désigne la pièce de viande de boeuf appelée « flank » en anglais, le flanc.

Il y en a deux : l’aloyau et le flanchet. L’aloyau se trouve en avant du pis sur le flanc, non caché par la cuisse en vision latérale, et sur le bas du ventre. Le flanchet est situé à l’avant du précédent, plus vers le milieu de l’abdomen. Il s’agit de fibres longues et assez lâches. Si vous les tranchez transversalement et les cuisez « intelligemment », elles sont très tendres mais aussi parfaitement savoureuses. Il faut les saisir à la poêle ( = sauteuse en France), avec un peu de gras, et les sortir du feu dès que l’extérieur a coloré. Bleu c’est parfait et les amateurs de « saignant » ont du souci à se faire. Quant aux handicapés cérébraux qui mangent le boeuf à point, ils n’auront qu’une semelle avec ce morceau.

 

Je ne suis pas un cuisinier professionnel, je n’ai jamais suivi aucun cours de cuisine – sauf à regarder faire feu ma grand-mère, un cordon bleu eerste klasse – et j’essaie de « faire bien » sans adresse manuelle particulière. Je ne dispose pas de deux mains gauches, mais ne peux pas non plus me vanter d’une habileté hors du commun. Pourtant, plutôt que les « bêtes » ustensiles recouverts de téflon, ou le vrai cuivre étamé – j’en ai eu beaucoup mais ils sont une catastrophe à nettoyer et il n’y a personne pour les rétamer ici – je suis devenu adepte de l’inox à fond épais. Attention, ça attache si on ne fait pas attention, et cela brûle. Mais, pour peu qu’on ne lâche pas le manche pour faire autre chose, c’est fantastique et cela se nettoie d’un coup d’éponge. Donc, la recette à Léon c’est : je fais suer des oignons (ou échalotes)* dans de l’huile d’olive assez neutre, puis je les réserve. Ensuite, j’ajoute à la poêle un rien de beurre, un peu d’huile de pépin de raisin et une noix de graisse de canard, sans faire brunir. J’y dépose ma viande (non escalopée) et la fais prendre sur toutes ses faces. J’ajoute muscade (oui oui), thym, poivre (ou Espelette, c’est selon), et enfin un rien de sel. Au bout d’une minute ou deux, je sers sur les assiettes chaudes. Je déglace légèrement à l’eau et remets les oignons plus du persil en abondance dans le jus obtenu. Et je nappe la viande dans l’assiette. L’appoint d’assaisonnement sera fait par les convives. Mes amis wallons s’écrient alors souvent : « Tu nappas, valéï ! »

 

*: échalote ne prend qu'un "t", orthographe corrigée grâce à M. Smith,

   alias notre forgeron d'amour

 

Deuxième digression : l’onglet. On parle aussi de bavette d’onglet. Il s’agit de quelque chose de différent : une partie du diaphragme en fait (pilier). Les fibres sont longues également, mais un peu moins tendres. Ce muscle se situe sous les filet et faux-filet. Les Anglais parlent de « back steak ». La manière dont cette viande « mûrit » est différente. Elle prend beaucoup plus vite une teinte foncée et se mortifie à un autre rythme. Il vaut mieux la griller, après l’avoir dédoublée dans le sens des fibres (pour la tendreté).

Quant à la hampe, c’est l’autre partie du diaphragme, celle qui s’attache aux côtes. Elle se situe donc au-dessus des bavettes, en avant de la cuisse sur une vue latérale. Ses fibres sont beaucoup plus plates et larges. On dirait « breast » en anglais d’après les dicos mais bof-bof, je ne garantis pas.

 

Et le vin dans tout ça ?

Christine m’a fait : - « Cela a au moins trente ans / C’est du mouvèdre elle ne met jamais le premier « r » / et il y a quelque chose qui cloche ».

Putain, pour quelqu’un qui ne buvait pas de vin il y a quelques années, voilà un avis de pro. Faut dire que « Quand on couche avec son chien, on attrape ses puces ».

 

A l’ouverture, la robe faisait très vieille et le nez un peu poussiéreux. Le bouchon avait l’air correct. Une certaine volatile ressortait. Après décantation, la couleur est revenue. Toutefois, un léger « « bouchon » s’est manifesté. Oh, pas l’horreur qui fait rejeter la bouteille, mais un quelque chose de « muf », de fromagé. Pas net quoi. Sinon, les tannins se sont bien fondus et la fin de bouche est parfaite sur ce genre de viande mais nous n’avons pas fini la bouteille.

 

 

Encore un beau flacon foutu en l’air

par une obturation défectueuse !

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 5
  • #1

    Michel Smith (mardi, 04 juin 2013 10:52)

    Tu n'es pas Gainsbarre, mais quand tu me mets l'eau à la bouche, alors, je fonce. Mais où ? Ici, à Perpignan nous n'avons pas un boucher digne de ce nom où trouver une belle bavette. Quant à mon échalote (avec un seul "t" mon Léon) grise et (ou) cuisse de poulet, je l'achète au marché de Narbonne de loin le mieux achalandé. Du coup, je fais quoi ? Ben me faire inviter chez toi ! C'est pour bientôt, paraît-il !

  • #2

    Luc Charlier (mardi, 04 juin 2013 11:05)

    Michel, merci pour la correction orthographique. Je me suis fait un moyen mnémonique/mnémotechnique : échalote, comme salope, ne redouble pas la consonne finale.
    Le problème du marché des halles de Narbonne, c’est qu’il ferme vers 13 heures. Incompatible avec mon horaire.
    En outre, il se fait un glissement sémantique sur « achalandé ». A l’origine, un chaland est un client (kalant, klant en néerlandais a encore ce sens). Voir Brassens : « Si le vol est l’art que tu préfères / mets-toi dans les affaires / tu auras les flics comme chalands » - je cite de mémoire. Mais beaucoup lui donnent à présent le sens de « bien approvisionné ». Je continue à être réticent, c’est mon syndrome VC.

  • #3

    Hervé Lalau (mardi, 04 juin 2013 11:06)

    En commandant dans l'Aubrac et en se faisant livrer par les pèlerins du chemin de Saint Jacques, tu dois pouvoir obtenir le point idéal de murissement, Michel.

    Sinon, bravo pour les explications, Luc. Tu as pensé à faire un bouquin? Histoire de laisser une trace, comme disent les Bulgares...

  • #4

    Cad (jeudi, 06 juin 2013 10:14)

    A la lecture des commentaires c'est chez Marc Gravil que tu achètes ta viande lorsque tu passes par chez nous...
    Quant à tes choix, qui sont très honorables, je préfère pour ma part la poire, infiniment moins nerveuse que la bavette, même si je rechigne pas quand on me sert une belle tranche d'araignée

  • #5

    Luc Charlier (jeudi, 06 juin 2013 10:37)

    Here’s to you, Sylvie :

    Poire: http://coumemajou.jimdo.com/2013/02/17/entre-la-poire-et-le-canelé/
    Merlan : http://coumemajou.jimdo.com/2013/02/11/sous-mes-yeux-le-merlan-rôtit/
    Araignée : http://coumemajou.jimdo.com/2013/01/31/le-vrai-premier-billet-du-dernier-jour-de-janvier/
    Faux-filet : http://coumemajou.jimdo.com/2013/06/05/autre-vêtement-gascon/

    Tu vois, je ne suis pas monomaniaque.