J’Y SUIS FORCÉ

Gastronomie régionale ?
Gastronomie régionale ?

 

 

 

 

J’avais envisagé un tout autre sujet

pour ce premier billet du jour.

Mais la chronique parue ce matin

dans Vin & Cie

me « force » à publier ce justificatif.

 

 

 

 

 

 

L’homme curieux ou la femme réfléchie, l’être humain cérébré, quoi, doivent toujours se défendre de deux extrêmes : l’histoire de chasse à tout prix ou la généralisation abusive. La casuistique est ennuyeuse et l’universalisme truffé d’erreurs. Mais si on ne généralise pas un peu, ce qui est toujours une simplification, on ne discute jamais de rien.

 

Il en va en cuisine – et, partant, dans le vin – comme du reste. Je vais tenter de domestiquer un peu mon esprit d’escalier et de vous entretenir de quatre sujets : l’intérêt des vins « régionaux », les saveurs locales en cuisine, leur mariage et le transport. Rien à voir, me direz-vous ? Pas si sûr.

 

Du temps où je bougeais beaucoup – car la vigne sédentarise son soigneur – mon nomadisme avait la chance de goûter partout des vins régionaux. Attention, ma classification personnelle n’attribue aucune connotation de « deuxième rang » à ce terme, comme certains restaurants qui titrent : Bordeaux, Bourgogne, autres régions, vins étrangers ... Même en Gaule belgique, les vins « étrangers » sont ceux qui ne viennent pas de France ! Non, régional veut dire « de l’endroit où je me trouve à cet instant présent », hic et nunc. C’était un des plaisirs du voyage, comme d’ailleurs de manger des choses différentes, voir des magasins différents, entendre parler des langues différentes, découvrir des beautés différentes. A ce sujet, je trouve les Stambouliotes très jolies, les femmes de Stockholm aussi, ainsi d’ailleurs que les vénus d’Evora. Vous voyez : particularisme versus généralisation. A présent, on a un peu l’impression que tous les pays occidentaux se ressemblent, notamment les abords des villes.

Donc, je répète que j’éprouve beaucoup de plaisir, lorsque je suis quelque part en touriste, et pour peu de temps, à « boire local ». Point UN de ma démonstration.

 

La chose qui différenciait les peuples avec le plus de certitude, et continue à le faire, c’était leur cuisine. Je n’ai pas dit que c’était la seule. Et il y a aussi des peuplades, certes primitives, qui ne possèdent pas de cuisine propre du tout : les Bataves par exemple. De même, j’adore « manger local ». Pour autant, certaines « spécialités » n’en sont pas. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas excellentes, confiées à de bonnes mains. J’ai cité la cuisine catalane, certes riche de dizaines de plats traditionnels, mais qui ont tous été empruntés à des cultures voisines ou conquérantes. Ce n’est pas parce qu’on donne un nom catalan, qu’on ajoute une liquette/lichette de vin doux et un peu de lard rance que le plat devient original. On peut dire la même chose de la « Belgique » - c’est quoi, la Belgique ? Les Hollandais mangent beaucoup plus de frites que nous, la cuisine à la bière est rarissime (et exquise), le ragondin se déguste dans d’autres pays ... Il n’empêche, « la cuisine française est la meilleure au monde, quand ce sont les Belges qui la font » est un slogan auquel je souscris volontiers. Point DEUX de ma démonstration.

 

Ce qu’il y a dans notre assiette – chose qui revêt une importance primordiale à mes yeux, mais on n’est pas obligé de partager cet avis – peut appartenir à trois catégories : une cuisine régionale, une cuisine internationale et une cuisine fusion. Je pense que la première offre le plus de diversité et est à l’origine des autres. C’est celle que je préfère. La deuxième se retrouve partout dans le monde mais peut aussi enchanter : c’est celle des grandes maisons, même si certains chefs s’encanaillent parfois à faire du « local », qu’ils magnifient alors. Et la cuisine fusion mélange sciemment des éléments d’origine différente, encore reconnaissables et offrant un contraste frappant mais harmonieux. Malheureusement, il existe une quatrième catégorie, la plus fréquente tant dans les foyers que chez les professionnels : la cuisine sans âme. Exemple type : la tranche de rumsteak saignante dans son « gras de cuisson » non déglacé, avec des petits pois trop cuits sans oignon, persil ni thym et une pomme de terre bouillie, le tout arrosé d’un Vacqueyras de deuxième zone servi trop chaud. Même si tous les ingrédients sont de qualité et sains, on mangera par politesse ou par faim, non par plaisir.

 

Mais, dès lors que les plats sont bons, on a le choix entre plusieurs attitudes pour notre boisson : la spécialité locale, qui peut être autre chose que du vin d’ailleurs (bière, aquavit, whisky, aïran, pommeau, thé ....), un vin venu d’ailleurs ou de l’eau. Il est stimulant pour l’esprit de goûter le vin de production locale, surtout s’il est confidentiel ou inconnu de nous-même. Mais il n’offrira pas forcément le meilleur accord gourmand. A contrario, une kyrielle de vins de provenance lointaine feront très bien l’affaire. Enfin, même si je renâcle personnellement à associer vin rouge et poisson (sauf thon, espadon, rouget et préparations au vin rouge, bien entendu), je ne crois pas qu’il y ait des « accords universels », comme des must, ni non plus qu’il y ait des interdits absolus. Certaines personnes boivent du Sauternes ou du Monbazillac avec les huîtres (crues). Moi, cela me paraît pour le moins étrange, mais si elles aiment cela .... Point TROIS de ma démonstration.

 

Enfin, un élément devient à mes yeux de plus en plus important : le transport. Celui-ci n’est pas facturé à son juste prix pour le moment. Les sources d’énergie vont devoir coûter de plus en plus cher, les pollueurs vont devoir payer des taxes de plus en plus élevées et les travailleurs de ces secteurs vont devoir être rétribués de manière plus équitable également. Evidemment, la liberté exige d’avoir le droit de manger des kiwis si on le souhaite, ou du kangourou. Normalement, ces denrées nous arrivent des antipodes. Mais, avez-vous déjà goûté des asperges du Pérou ? Plus insipide que ça, tu meurs. En outre, pourquoi manger du miel d’Argentine, des pommes du Cap, des fraises d’Andalousie .... ?

Pour le vin, le problème est complexe, mais il m’inquiète aussi. Certains viennent de loin et le verre pèse lourd. Bien sûr, il y a la diversité, l’oenodiversité. Mon argument est que l’amateur a le droit de boire une syrah de la Barossa à Tain l’Hermitage et un Gevrey-Chambertin dans l’Oregon. Mais, les grands groupes producteurs de vins tentent tous de standardiser leurs produits, même en sommet de gamme, ou supposé tel. Regardez les assemblages de merlot médocain à du sangiovese toscan, certains cabernet/merlot chiliens qui ressemblent à du Bordeaux, des sauvignons néo-zélandais qui « sancérisent » ... C’est d’ailleurs la force du Bordeaux d’avoir su, grâce à son marketing, imposer comme golden standard un type de vin facilement reproductible. Mais c’est aussi le risque, car à force d’être reproductible on en sera aussi d’autant plus facilement copié. Point QUATRE de ma démonstration.

 

 

En conclusion, buvez local pour le fun,

mais ne vous fermez pas à d’autres accords.

Et il ne faut pas confondre authenticité ou typicité

avec marketing effréné.

 

 

PS : mon illustration - gare au copyright ! – plagie celle d’un plat proposé par un des très grands chefs de la gastronomie locale, maintenant en pseudo-retraite. Il a publié un beau livre de recettes, celles avec lesquelles il a justement su magnifier les traditions régionales en utilisant les richesses de l’élevage et de l’agriculture de notre contrée – et accessoirement le pillage par la maigre flotille de pêche encore en activité de ce qui reste de poisson en Méditerranée. Avec son beau-frère, il a enchanté des milliers de convives, sous les platanes, et les inspecteurs de bibendum aussi. Vous l’aurez reconnu sans doute.

Réf : Faire Chanter la Cuisine du Roussillon (Jean Plouzennec).

 

 

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