UN KIMAPLU POUR LA SAINT-PATRICK

Un trio de choix pour Pochtron Ier
Un trio de choix pour Pochtron Ier

 

 

 

 

 

Demain, toute l’irlande sombre dans l’ébriété.

 

 

 

 

 

 

Ceci ne constitue évidemment pas une manchette exceptionnelle. Et cette affirmation revêt un caractère incorrect : il y aussi les malades atteints de pancréatite chronique, ceux qui prennent du disulfiram, les atrésiques du pylore ou, pire encore, du cardia etc .... Ceux-là ne boivent pas.

 

Hier soir, j’aurais donc pu écluser de la bière, et vous l’illustrer, ou me gaver de whiskey (voyez l’orthographe) mais le peu de diversité de l’offre chez « lingus » par rapport à celle de « caledo » ne m’y incite pas.

 

Et puis, les flacons ont fait le pochtron : la Civale, la vioque et moi avons biberonné hier ce que je vous montre avec nostalgie. Pour l’encre du Dão et l’or ligérien, c’étaient mes dernières bouteilles. La merveille de Dirk, ça va, on a encore « de quoi faire » en cave.

 

J’ai eu la chance de déguster plusieurs fois sous le tilleul avec l’homme de la Croix Buisée. Bien plus, il m’a fourni du 1947, 1964, 1976, 1985, 1989 et 1990 pour une soirée de cours au CERIA, vers le milieu des années ’90. A cette occasion, il n’a pas du tout apprécié mon opinion – qui n’était qu’un avis assorti d’un pari sur l’avenir, toujours risqué – selon laquelle le 1985 était un peu « en dedans » des autres. Je n’en ai pas moins mis du « réserve » 89 et 90 en cave, et m’en ouvre une de temps en temps. Mais passons : ce Clos Naudin Réserve 1976, oeuvre du père de Philippe Foreau, a tenu toutes ses promesses. Je pense qu’il inaugurait le tout premier pressoir pneumatique de ce coin de France, dont l’hagiographie veut qu’il serve encore à l’heure actuelle. La robe n’est même plus « vieil or », elle est couleur vermeil, splendide. Le nez ne peut être confondu avec rien d’autre qu’un grand chenin : de l’encaustique, de la cire d’abeille, de la papaye et un rien de melon, puis comme quelque chose de fumé aussi (et non pas de Tennessee). Mais surtout, il y a cette acidité tenace, langoureuse, enjoleuse et cajolante, et ce sucre en filigrane, avec une finale laissant une minuscule pointe d’amertume, comme le zeste d’un cédrat, qui appelle la gorgée suivante. Bien sûr, on sait que le sulfite est là, et on a peur pour la casquette plombée. Pourtant, jamais on ne perçoit sa présence et nous n’avons pas eu mal au crâne. Exit la bouteille (accompagnement : quelques gougères maison peu fromagées et des fritons réalisés sur l’instant au départ d’un énorme canard gras qui a fini dans une terrine pour son foie et dans des wecks pour le reste depuis lors ; courtesy of C. Civale).

Ben tè, m’en va dire une horreur : cette bouteille m’a encore donné plus de plaisir que le Quarts de Chaume bu récemment. Mais aussi s’agit-il d’un très grand millésime.

 

J’en profite pour rappeler, contrairement à ce qu’on entend sans cesse, que la plupart des Vouvray moelleux de qualité proviennent de sols en fait assez argileux et contenant des pierres, parfois du silex (« perruches »). Le calcaire, sous forme de « tuffeau », se situe plus bas, et constitue la roche-mère. Il sert surtout à pouvoir y creuser de longues galeries qui donnent des caves à vin très adaptées.

 

Après, il y a eu une espèce de steak-and-kidney pie, sauf qu’il n’y avait pas de croûte et que j’ai lié le tout d’un oignon blanc fondu très doucement à l’huile, puis incorporé dans ma carthagène à moi avec une pointe de maïzena (pourquoi pas ?). Pasta maison moitié-blé dur moitié-petit épeautre pour accompagner le tout. Voilà le partenaire de l’Alfrocheiro 2000, qu’on n’appelle plus « preto » depuis quelques années, de la Quinta dos Roques.

 

J’ai rencontré Luís Lourenço chez lui au milieu des années ’90, et nous avions mangé avec sa femme et son beau-père, dans la modeste maison au milieu des parcelles, peu après que ces enseignants de formation eussent repris et commençé à réellement développer cette magnifique propriété en plein milieu des collines du Dão, entre Nelas et Mangualde. Ils géraient aussi une propriété située un peu plus haut dans le parc national, la Quinta das Maias (qui veut dire des « genêts »). C’est le quasi mythique Virgilio Loureiro qui servait d’oenologue conseil. Cela fait plus de dix ans que je ne me suis plus rendu par là, à mon grand regret, et les sites webs indiquent que l’équipe a beaucoup évolué depuis lors, ainsi que les bâtiments sur place.

 

Toujours est-il que ce vin à la couleur encore très jeune (presque noire) développe à présent un nez d’encre de Chine et de baies noires, mais surtout une complexité en bouche tout à fait remarquable, mêlant un peu de fruits rouges à beaucoup de gras et à des tannins très denses. Il persiste encore un peu de dureté en finale. Très séveux, tout cela : un grand vin de viande.

 

Passons sur le fromage, nous n’en avions pas.

 

Mais la tarte fine aux pommes accueillit avec délectation une énorme surprise : Vintage Port 1991 de chez Niepoort. Une surprise constituée en fait d’une très bonne nouvelle, et d’une moins bonne : (i) la bouteille est déjà délicieuse, à mon grand étonnement car je pensais qu’il lui faudrait plus de temps pour atteindre ce stade (on y revient) et (ii) la bouteille est déjà délicieuse, ce qui veut dire que ce millésime, celui de la naissance de Virginie, exige qu’on commence à la lamper. Heureusement, je dois avoir le même en magnums quelque part.

 

Dirk choisit toujours des degrés alcooliques « costauds » pour ses mises, et celle-ci ne fait pas exception. Mais voilà un vintage comme moi je les aime : il a perdu ce côté « formidable vin fruité et tannique avec du sucre » qui plaît tant aux Japonais et aux Américains – et je les comprends car c’est succulent aussi – pour enfin devenir un vrai Vintage Port. La robe s’est modifiée, elle a acquis des nuances rosées et diaphanes. Le nez n’est plus simplement vineux, il est devenu « portueux », avec de la violette, de la menthe, de la réglisse, de la rose ... que sais-je encore. Il n’y a que le grand vintage pour réussir à faire cela ; aucun autre vin au monde n’évolue de cette manière. Et en bouche, les tannins ne se sont pas adoucis, ils ont fondu. Enfin, la brûlure de l’alcool a disparu ; il ne reste que sa chaude caresse.

 

Nous avons bu chacun trois verres d’affilée, soit 25 cl de porto par tête de pipe, comme si de rien n’était et sans aucun désagrément le lendemain matin, sauf à regretter que la bouteille fût vide. Si on calcule bien, cela ne fait jamais que 0.39 cl par année passée sur terre, en moyenne.

 

And none of us has ever met the Bishop of Norwich !

 

 

 

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