UN CANARD ET SA QUEUE DE PAON

Cochon qui s'en dédit
Cochon qui s'en dédit

 

 

 

 

 

 

 

Luís Pato représente pour moi

l’homme qui a donné

ses lettres de noblesse

à la vitculture portugaise,

sorti du monde du Porto. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chimiste de formation, fils du premier embouteilleur « privé » (en 1970) d’une région dominée jusque là par de grandes coopératives viticoles, Luís a pris la relève de son père avec le millésime 1980, je pense.

 

Je ne sais plus si je l’ai rencontré d’abord derrière une table de dégustation ou bien tout de suite à Adania, enfin, tout près d’Adania. C’était une fin d’après-midi et il terminait de réceptionner le premier pressoir à dépression que je découvrais. Le technicien venait de quitter les lieux et l’engin s’est mis en ... veille de sécurité.

 

Or, il y avait du Bical à pressurer. Il s’est excusé de ne pas pouvoir me consacrer de temps pour la visite et la dégustation prévues et nous avons plongé vers la machine. Je ne lui ai pas été d’un grand secours, sauf pour appuyer sur un bouton quand il me le demandait ou donner un petit tour de clé par-ci par-là. En fait, un cable d’acier tendu entre deux capteurs sert de sécurité pour quiconque approcherait ses mains au moment de la rotation de la cuve, et le réglage n’en était pas optimum. Panne N° 1. Et ensuite, la cuve, du moins avec le programme qui avait été sélectionné, doit se saturer en CO2 provenant d’une bonbonne avant de déclencher la pompe à vide. Et cette opération calait. Panne N° 2. Il a tout réparé et nous avons ensuite bu un verre ou deux et croqué un morceau. Je logeais au magnifique hôtel de conte de fée en faux style manuélin dans le parc de Buçaco, non loin de là, profitant d’un tarif de faveur obtenu grâce à mes bons rapports avec le consulat du Portugal à Bruxelles et avec Luísa Cálem en particulier. Mais j’y suis rentré bien tard.

 

Luís est devenu un peu belge depuis lors. En effet, son adorable fille, Filipa – bonjour Filipa, beijinhos ! – a épousé nul autre que le jovial William Wouters, ancien meilleur sommelier de Belgique et patron du restaurant « Pazzo » à Anvers. Outre ses talents de vinificatrice, car elle possède à présent un domaine, distinct de celui de son père, elle a aussi réussi à mettre au monde du petit flamand pur souche et elle parle très bien notre langue. De même, William est devenu en quelques jours (je devrais dire en quelques nuits) un lusophone remarquable.

 

Nous nous sommes retrouvés quelquefois et notamment un soir près de la Place Ste Catherine (le « Vismet », marché au poisson de l’île St Géry) où la délicieuse Mariza, fadista de la nouvelle génération, offrait un récital à vous donner la chair de poule – sentir arrepios, dit-on. Il s’agit des locaux d’un ancien brasseur disposant d’une mezzanine, qui servent aussi de centre culturel portugais. Ce soir-là, une partie de la colonie lusitanienne s’était donné rendez-vous et les femmes lançaient du haut du balcon le titre du fado traditionnel qu’elles souhaitaient entendre, et le reprenaient ensuite avec la fadista qui s’exécuta, après ses créations personnelles, a capella et sans micro. Incryable voix, incroyable puissance et puis, qu’est-ce qu’elle est belle !

 

Mais revenons-en à nos canards. Hier soir, voulant compenser quelques frustrations, j’avais prévu un peu de vrai jambon ibérique : l’un, viellli 36 mois mais ne provenant pas de cochons nourris aux glands et en pleine nature, de la région de Salamanca ; l’autre, un vrai bellota incroyablement clair, tendre et persillé, provenant d’Extremadura. Pour moi, il FAUT un rouge tannique, assez acide et vieilli pour accompagner ce délice. D’ordinaire, je choisis un vieux Bandol (1978, 1982 ou 1985).

 

Cette fois, c’est ma dernière bouteille de « Bairrada Vinhas Velhas 1988 » de Luís que j’ai sacrifiée. Vous prononcez « vî-niach vê-liach » en mettant l’accent tonique sur la première syllabe et en adoucissant les « as » (presque « eu »). Vous enlevez ensuite un bouchon comme neuf (clair, dense, compact et pourtant très court) et versez le contenu dans une carafe (beaucoup de fond et bouteille très tapissée de dépôt).

 

La robe est foncée, entre noir et carmin. Le nez explose de fruits rouges, au bout de cinq minutes, et sans aucune volatile. En bouche, sans doute les tannins les plus jolis – mais « virils » - que j’aie sentis depuis quelques mois. Cela rappelle immanquablement le mourvèdre, en plus serré encore. La finale est fine, longue, un rien rapeuse encore et « fait la queue de paon ». Fait inexplicable, nous avons sifflé la bouteille en une-deux-trois et on aurait pu en avaler deux, voire même trois sans aucun écoeurement. Christine n’a pas manifesté du tout d’hypersensibilité aux sulfites, pour lesquels elle constitue un indicateur précieux sinon gradué. La bouteille mentionne 12 vol % (?).

 

Il s’agit d’un assemblage issu de vignes âgées de 60 ans environ, cépage « Baga » bien évidemment, sur des terrains argilo-calcaires, et élevage en barriques neuves de chêne portugais. On en trouvait encore à cette époque et le bois est indiscernable, tant il s’est fondu. J’oserais dire, pour utiliser un vocabulaire imagé, que c’est du « fondu enchêné » !!!!

 

Le plus cocace est que cet immense vin, archétype de sa Bairrada natale et sorti du cuvier de son plus acharné défenseur, porte à présent le nom générique de Vinho Regional Beiras. En effet, M. Pato est en délicatesse avec les autorités d’appellation locales et ne revendique plus rien que l’appellation régionale. Qu’est-ce que ça peut être con, une autorité, partout en Europe !

 

Cherchez bien et vous trouverez sans doute ses autres cuvées magiques : Vinha Pan, Vinha Barrosa, Vinha Formal, et l’incroyable pied franc de la Quinta do Ribeirinho en terrain beaucoup plus sablonneux (attention au porte-monnaie pour celui-ci).

 

Moi, il faut que je passe au millésime 2001 maintenant ... et puis plus.

Voilà un des désavantages majeurs à l’état de vigneron débutant :

vous n’avez déjà plus assez d’argent

pour acquérir les bonnes bouteilles des autres,

et pas encore assez de notoriété pour procéder à des échanges !

 

 

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