UNITÉ DE LIEU

Un chef en visite à Cruels
Un chef en visite à Cruels

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voilà un ressortissant japonais

comme vous ne l’avez jamais vu.

 

 

 

 

 

 

 

Ce matin, nous avons embauché de bonne heure au Rec d’en Cruels, un carignan planté en 1950, restant longtemps à l’ombre car la combe est encaissée. Il se montre très sensible à l’oïdium. Nous le taillons donc sévèrement pour bien l'aérer et je tente de « rajeunir » les souches d’année en année, profitant du moindre rejeton pour couper le bras qui le surplombe chaque fois que c’est possible. Certaines années, sa partie la plus ensoleillée, qui profite longtemps des rayons de fin d’après midi en septembre, rentre dans notre cuvée La Loute. Il y a une petite terrasse (une vingtaine de souches) ravagée par les sangliers à chaque fois – mais ça les occupe – à laquelle on accède grâce à des plaques de schiste faisant saillie qui constituent comme un escalier. La première marche est cassée et il m’a fallu un gros effort pour m’y hisser ce matin, fourbu en fin de séance de taille.

 

Or, c’est précisément en haut de cet accès que vous découvrez notre quiddam. C’était à l’été 2006. Nos chambres d’amis étaient encore à l’état rudimentaire (vieux plâtras au mur, plafond moins que frais, fenêtres peu étanches et au verre archi-mince) et il a préféré passer quelques nuitées au B&B de l’Auberge du Cellier, sympathisant à l’occasion avec Pierre-Louis Marin. Sa visite suivante nous a permis de le loger, sa vétérinaire de femme et lui, les lieux s’étant améliorés.

 

Je connais le quiddam depuis l’ouverture de ... son restaurant, en 1991. J’étais responsable du département médical d’une société allemande qui avait ses bureaux à l’avenue Louise (chicos) et nous prenions fréquemment le « lunch », 3 services pour 480 FB à l’époque (12 € !), mon ami Xavier et moi. Ce n’était pas son coup d’essai. Formé d’abord à Tokyo – ce qui n’a rien de surprenant pour un citoyen possédant un passeport du Soleil Levant – il a ensuite fait ses classes à L’Oustau de Baumanière, à la grande époque. On ne l’y a pas trop bien traité, mais il y a appris son métier, confie-t-il.

 

Ensuite, le fantasque et sympathique Christopher l'a installé au piano de son joli restaurant à La Chapelle et il a obtenu une étoile chez bibendum. Lorsque l’établissement ferma ses portes, le chef ouvrit par contre son enseigne : Chez Inada, car c’est de lui qu’il s’agit.

 

Le reste, c’est plus de 20 ans d’amitié : les mariages de certains amis (parfois répétés !), les 20 ans de mon fils aîné, mes 50 ans à moi et d’innombrables gueuletons. Je n’y garde que deux souvenirs mitigés, en beaucoup plus de 100 repas. Le premier concerne une anguille fumée à la mode japonaise, qui était trop salée à mon goût : waw, que c’est grave ! L’autre n’est pas de son fait : j’avais invité une de mes élèves du Ceria, une infirmière ravissante et qui m’avait parue enjouée au fil des quelques rencontres précédentes – j’étais célibataire et moins gros que maintenant. Dès la moitié du repas, succulent en tout point, j’ai commencé à m’ennuyer comme rarement. A peine le dessert avalé, j’ai ramené la jeune femme chez elle – elle n’habitait pas loin – l’ai embrassée gentiment sur les joues et .... nous ne nous sommes jamais revus.

 

Tout le reste, ce ne fut que du bonheur : le canard au sang, meilleur que celui de la Tour d’Argent qui n’est pourtant pas mauvais; la salade d’huîtres accompagnée de porto blanc, avec la présence de Dirk Niepoort; le repas autour des vins du Domaine de Chevalier, avec Olivier Bernard; les trois pigeons partagés avec Agnès Henry pour accompagner ses grands vins de la Tour du Bon; le homard au melon qui a converti feu Monsieur Vanderghinst; l’incroyable service des St Jacques avec leurs cèpes au sein même de la bibliothèque Solvay, à la table de Deborah Brown à qui je faisais découvrir la Quinta do Noval sous l’oeil approbateur de Christian Seely; les rillettes de chevreuil « pour me venger »; le boeuf à la mode Fujiyama et la poularde au gros sel avec mon ami Michel Ingels; l’incroyable assortiment faisan-chevreuil de novembre 2011 avec Christine, après sa soupe d'huîtres à l'infusion de verveine et aux gojis, et les repas pris chez moi, à Wemmel et à Corneilla, sans que le chef ne mette un pied à la cuisine, mais où il a fait preuve d’indulgence et de politesse en finissant à chaque fois son assiette !

 

Et puis toujours sa gentillesse, sa réserve et ce bonheur de vivre :

on t’aime, Saburo !

 

Je vous répète à chaque fois que c’est – pour moi, mais je ne vis plus en Belgique – la meilleure table de Bruxelles. Le Guide Delta – je ne l’ai appris que récemment car mon éloignement de la capitale de l’Europe ralentit les nouvelles – lui a décerné son Delta d’Or en mai 2012. Vous vous rendez compte, on découvre le « petit nouveau », le jeune chef plein de talent, au bout des 20 années qu’il officie sous son nom et sans doute quarante ans après ses débuts.

 

Il faut dire que les fournisseurs le craignent : non, il n’est pas mauvais payeur, mais il est intraitable sur la qualité de ce qu’on lui livre et « remballe » souvent ceci ou cela. Je lui ai fait goûter mes « nouveautés » la semaine passée et on lui avait fourgué ce matin-là des coquilles qui ne lui plaisaient pas. Mon petit doigt m’a dit qu’il avait piqué une colère au téléphone – moi, je ne l’ai jamais vu s’énerver – et le mareyeur est venu s’excuser, tout penaud. Les marchands de vin ne l’apprécient pas non plus : il n’a pas un « fournisseur attitré » qui lui « fait sa carte ». Il établit sa cave en fonction de ses goûts, très éclectiques, et elle change souvent. Il faut dire que Christopher, et ensuite Eddy Dandrimont quand il était son sommelier, ont dû très tôt stimuler sa curiosité pour le vin.

 

Lisez les commentaires des dîneurs sur internet : que des éloges ! Pourtant, la cuisine n’est pas spacieuse ni remplie de machines alambiquées, et il ne dispose pas d’une brigade de marmitons et de gâche-sauces. Ah non, j’oubliais, un client allemand a trouvé l’eau minérale trop chère.

 

 

Voilà, je pourrais continuer durant des heures.

Faites-vous plaisir, allez le soir vous régaler au coin de la Place Loix,

ou passez le midi prendre son lunch qui reste une réelle affaire

 (autour de 30 €).

Et embrassez-le de ma part.

 

 

 

Adresse du jour : Restaurant Inada

                          73 rue de la Source

                           1060 Bruxelles

                           T° : 02/5380113

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0