UN VRAI « POST » GOURMAND

Bob attend devant l'entrée: quel style !
Bob attend devant l'entrée: quel style !

 

Voilà ce que j’ai lu sur le site de « L’Internaute »,

qui publie des informations sur les restaurants et des commentaires venant de clients. Il s’agissait d’une table prestigieuse en Savoie et dire laquelle exactement n’apporte rien de plus à mon sujet :

 

 

 

 

« C'était notre Noël car encore pas assez d'argent pour une Porsche Panamera : ... choix des vins hallucinant, saveurs inoubliables, on était au petit salon comme chez nous. 464 € de bonheur à deux ! Le 04 décembre 2011 »

 

Je ne ferai pas de commentaire, vous laissant savourer l’intérêt de ces considérations venant d’un certain E.M dans la région parisienne ....

 

Il est très difficile de tenir, gérer et faire vivre un bon restaurant. Toutefois, certains y arrivent fort bien, heureusement. Pour ma part, je distingue trois types d’établissements où j’aime à m’asseoir, et puis une quatrième catégorie, la plus fréquente, qui ne m’intéresse nullement : les mauvais restaurants. J’ai la chance de ne pas en compter un seul parmi les clients que Christine a sélectionnés et puis a su convaincre de retenir nos vins.

 

Le premier type se fait rare, mais il existe. Je dirai qu’il s’agit de vraie cuisine familiale, comme ma grand-mère la faisait : des plats apparemment simples, souvent mijotés, réalisés avec des produits frais et de qualité et généralement largement servis, souvent avec une « repasse ». C’est comme cela que je cuisine moi-même. La différence avec un vrai chef, c’est qu’eux sont capables de préparer et d’envoyer en même temps quarante assiettes différentes de ce niveau, alors que moi, six ou huit, dix tout au plus, et toutes identiques, avec la même cuisson, constituent le grand maximum.

 

Le deuxième type se multiplie pour le moment, mais sa survie est parfois éphémère et il constitue un phénomène de mode. Il plaît aux people 

(dites « pipol » en France) qui ne vont que là, plus pour se faire voir, par esprit de « collectionneur » et parce qu’ils sont chers. Moi, j’adore cela de temps à autre mais n’ai d’une part pas les moyens pour m’y retrouver tout le temps, ni d’autre part l’envie constante de pénétrer inquiet de ce que je vais y manger, pour ressortir lassé par l’attention que j’ai dû porter à tout. Il s’agit de restaurants qui vous surprennent en permanence par l’audace des associations, la complexité de chaque assiette et même l’incongruité des assemblages. Attention, je ne crache pas dans la soupe – c’est le cas de le dire – mais je ne souhaiterais pas m’y attabler chaque semaine. Notez, cela tombe bien, nous n’en avons qu’une petite poignée parmi nos clients et en outre, tous leurs chefs sont adorables, stuk voor stuk*.

 

Enfin, il y a le troisième type, celui que je préfère : le maître-mot s’appelle chez eux Harmonie. Bien sûr, les chefs travaillent des denrées haut de gamme, bien sûr leur technique est irréprochable, bien sûr ils innovent fréquemment et bien sûr, on y mange mieux que chez soi. Mais ils ne tentent pas forcément de vous « bluffer » et le sentiment qu’on ressent en sortant est souvent – outre le petit ventre tendu et l’alcoolémie à la limite du raisonnable qui incite à laisser conduire Bob** - la sérénité. On y est zen. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que mon adresse bruxelloise préférée appartient à ce groupe : Inada à la rue de la Source.

 

Hier soir, Christine – souvent mon Bob à moi quoiqu’elle ne m’ouvre pas la porte avec beaucoup de style et porte mal mes valises – est rentrée tard de sa tournée. Je n’avais rien mangé depuis la veille sauf mon bol de müsli sans sucre matinal et n’avais pas eu le temps d’aller faire des courses.

Nous avons donc décidé de réserver à la sauvette une table chez notre voisin le plus proche, qui se trouve être un des chefs en vue du département :

Pierre-Louis Marin de l’Auberge du Cellier.

Il dispose en plus d’un Belge comme second et vous connaissez l’adage : « La gastronomie française est la meilleure au monde quand ce sont les Belges qui la font ». Outre cette boutade – c’en est une ! – je sais que le chef apprend ce que sont les chicons, la salade de blé, une farde, une loque à reloqueter, les scaroles, la maquée, le péket, la tarte al djote etc ....

 

Christine empoigne donc le téléphone et Patrick, le sommelier, nous confirme avec enthousiasme qu’on est attendu : un jeudi soir de mai, entre deux ponts, la salle n’est pas pleine à Montner mais il est presque neuf heures quand même. N'empêche, toute l'équipe nous a bichonnés et nous avons fait un repas appartenant à la troisième catégorie, à la carte pour une fois car le menu nous aurait mené fort loin (foie gras, poisson, viande, fromage et dessert) : ça sera pour la prochaine fois.

 

Je répète à l’infini que je ne suis PAS critique gastronomique et ne délivre donc pas des analyses savantes de chaque assiette. En guise de mise en bouche, une soupe de poissons sauvages noyait également comme des pépites d’agrumes : du cédrat, croyais-je, mais il s’agisssait en fait de citron confit.

Nous avons ensuite mangé des légumes de saison – sans artichaut hélas car la Salanque a été dévastée par le gel cette année, jusqu’à l’anéantissement pour certains exploitants – avec de la féta locale (d'une exploitation située à Thuir, dans l’Aspre) et une grecque comme assaisonnement, disait la carte. Pour moi, une « grecque » représente une espèce de vinaigrette contenant du yaourt, qui la rend plus aérienne. Ici, nous avons eu une émulsion très légère où une belle huile d’olive « plus quelque chose » venait simplement rehausser le fromage et la jardinière, sans les matraquer.

Ensuite, je voulais à tout prix du poisson et ce fut du muge, une des nombreuses variétés du mulet en fait, arrivé le matin même de Port-Vendres. Le chef l’a saisi à la poêle et l’a fini au four – c’est lui qui me l’a dit. La peau – filet levé - était craquante et la chair encore tendre et savoureuse. Avec cela, des petits pois nouveaux et ce qu’on appelle des « mange-tout » en Belgique, des pois gourmands ici. Et une purée d’ail doux à se lécher les babines : pour cette dernière, c’est Lili, au Galantin (très beau domaine au Plan-du-Castellet, appellation Bandol) qui m’en avait préparé pour la première fois, « avecque de l’aille provansalleu »!

Ensuite, plateau de fromage impeccable : le département est assez riche à ce sujet, et nous avons eu de la brebis ariégoise aussi. Sur l'assiette, il y a un sens giratoire: Patrick a même mis des panneaux de signalisation nous permettant d'aller du plus léger au plus corsé: merci !

 

Je comptais en rester là, pour satisfaire mon diabétologue. Pourtant, au lieu de l’addition – qui est venue par après, je rassure tous ceux qui savent que je n’ai jamais été un pique-assiette, particularité rare chez un ex-journaliste – on nous a apporté un « schiste » ... Kézako ? Il s’agit d’une pièce montée incroyable, digne d’un équilibriste, et dont on nous a conseillé de croquer toutes les couches en même temps, quitte à faire tomber des miettes sur la table. Moi, quand je peux faire le cochon, vous savez que je n’hésite pas ! Je vous en décris le montage : une assiette sur laquelle on plie une serviette individuelle, pour y mettre une dalle de schiste prélevée un peu plus loin dans la nature ; on n’est pas à Monte Nero pour rien ! On ne mange rien de cela, prenez patience. Ensuite vient une gelée contenant une réduction de Rivesaltes grenat, sur laquelle on installe comme un brownie au chocolat. On y superpose une nougatine et comme une pâte de poire (ou de vanille, ou du fudge) et on couronne le tout d’une fine pellicule de chocolat noir. Ensuite on saupoudre de crumble à la noisette : j’en ai mis Par-Tout !

 

Et le vin, me direz-vous ? Nous n’avons pas fait dans le compliqué. Stéphane Gallet est originaire de Montner, je crois, et nous avons donc choisi un bon blanc de la concurrence : le Côtes du Roussillon (grenache, macabeu) du Roc des Anges en 2010, très adapté à tout ce qu’on a mangé.

 

Zen, vous dis-je, zen !

 

 

 

* veut dire : « tous, autant qu’ils sont »

** remplacer « Bob » par le prénom qui vous convient

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Cad (mardi, 15 mai 2012 14:54)

    Un texte que j'ai écrit il y a déjà quelques temps sur d'autres suppports, qui colle assez justement avec ton billet :

    "Et vous? Quelle cuisine préférez-vous?...

    Il y a sans doute autant de cuisines que de cuisiniers et pourtant des tendances se détachent :



    Il y a la cuisine sincère, généreuse : c’est la cuisine des femmes qui aiment et des hommes qui savent

    Il y a la cuisine intelligente et sensible où la création est continuelle et les recettes fluctuantes : c’est la cuisine qui sort tout droit du sautoir pour aller dans l’assiette

    Il y a la fausse cuisine simple, sensible plus aux modes qu’au terroir ou aux saisons

    Il y a la vraie cuisine compliquée, qui vante les mérites du mixer, du siphon, la cuisine éprouvette qui peut ainsi servir à une clientèle édentée et ravie de gentilles purées de légumes et de poissons

    Il y a aussi la cuisine surprise : on s’attend à la volaille annoncée mais sa chair est défaite, prétexte à de savants mélanges, qui vous fait regretter que la pauvre bête n’ait sauvé ni sa peau ni ses os. Il faudrait être légiste pour l’identification. Pourquoi un cuisinier se croirait-il obligé de pratiquer des autopsies ?…

    Il y a la grande cuisine créative, où l’on créée une fois pour toutes. Et il ferait beau voir qu’un marmiton s’avisât d’y rajouter son grain de sel

    Il y a la cuisine géométrique, symétrique et équilatérale dans laquelle on sent que l’ordre règne, une cuisine dans laquelle le chef prend son pied… à coulisse en attendant que son règne arrive

    Il y a bien sûr la cuisine au leurre, et encore si c’était « au bon leurre » la table vaudrait-elle le Dutourd



    A bien réfléchir je ne connais que trois sortes de tables fréquentables :

    - celles où l’on mange bien pour un juste prix

    - celles qui vous donnent du plaisir sans trop vous le facturer

    - et celles qui vous donnent du Bonheur



    Chacun sait que le Bonheur n’a pas de prix et que quelques immenses talents ne sont pas toujours reconnus selon leur mérite – parce qu’il y a des chefs « à la mode » et d’autres pas – ceux-là sont capables de vous laisser le souvenir le plus durable de l’œuvre pourtant la plus éphémère.



    Pour conclure je reprends ma formule préférée :

    il ne devrait y avoir de mode que pour le boeuf



    .

  • #2

    Luc Charlier (mercredi, 16 mai 2012 09:27)

    C’est bien senti, et tu sais de quoi tu parles !