DROIT DE MUTAGE

Chat at the tank-side
Chat at the tank-side

 

 

Chaque année depuis 2007, le Domaine de la Coume Majou a la joie de pouvoir élaborer du Vin Doux Naturel (VDN) en AOP Maury. Ce privilège a un prix : en effet le décret – poujadiste et colbertien – exige la vinification dans les limites géographiques de l’appellation.

 

 

Il me faut donc effectuer d’incessants voyages (40 minutes à chaque fois, aller simple) vers la cave Gelly, au coeur du village de Maury même, où la structure des « Vignerons de Maury » accepte aimablement de me louer un emplacement.

 

 

Certaines propriétés, plus influentes ou mieux introduites que moi, ont obtenu une dérogation pour vinifier du Maury dans leur chai pourtant situé hors zone. Ce n’est pas possible pour un pauvre petit étranger sans réseau relationnel:

« Selon que vous serez riche et puissant ..... »

 

Jeudi dernier donc, j’ai fébrilement suivi le plongeon du densitomètre vers les valeurs retenues. Vous ne me suivez pas ?

Une brêve explication alors : un VDN s’obtient en cueillant des raisins très mûrs (dans le cas du Maury, il faut au moins 15,5 ° potentiel mais les nôtres dépassent généralement la barre des 17), en les laissant fermenter puis en arrêtant la fermentation par l’adjonction d’une petite quantité d’alcool pur, vendu sous le contrôle de l’Etat français, et de sulfite. Cela s’appelle le « mutage », car on y rend muettes les levures, gavées qu’elles sont d’éthanol et de désinfectant.

Vous aurez compris que le moment où on ajoute l’alcool déterminera le taux de sucre résiduel : plus on mute tard, moins il restera de sucre. Le degré d’alcool final, lui, sera le résultat de différents facteurs : la richesse du moût de départ, le titre de l’alcool utilisé (en France, c’est autour de 96°) et bien sûr la quantité ajoutée (entre 5 et 10 % du volume de vin à muter). Moi, j’aime garder autour de

80-85 gr de sucre et atteindre un taux d’alcool final compris entre 16 et 17 vol %. Je pense que ce sont les conditions qui équilibrent le mieux les tannins de mes vins. Des tables – ou une formule – permettent de déterminer le « point de mutage », c’est à dire la densité à laquelle il faut muter, ainsi que la quantité d’alcool à ajouter. Une simple « règle de trois » n’y suffit pas. On comprend intuitivement que la présence d’eau ET d’alcool ET de sucre – sans parler du reste – rend plus complexe l’étude de la densité et de la dilution. Dans le même cadre, ce sont ces propriétés (d’ordre colligatif) qui rendent compte des échanges osmotiques et aussi des phénomènes azéotropiques en ébulioscopie ou en cryoscopie.

Bon, bref : je mute vers 1040 de densité (plutôt un rien plus bas) et j’ajoute généralement un bon 5 % d’alcool (ce qui est peu). Cela ne suffit pas toujours à tuer net Monsieur Saccharomyces.

 

Revenons-en au plongeon. Vers 15 heures, nous en étions à 1042-1043. C’est donc avec soulagement que j’ai vu le biréacteur se poser, ma voiture démarrer, le petit toast au foie gras accompagné du Maury 2010 s’avaler en guise de bienvenue et ... l’alcool de mutage se mélanger au moût, dégageant moulte fumée et bonnes odeurs :

 

« Qui veut mauriner bien prépare sa mixture

Croquez, humez, crachez et évitons la biture .... »

 

La discussion au sommet de la cuve qui illustre ce billet aurait pu être celle que nous avons eue si souvent sur le bord de la piste électrique, ou encore dans les couloirs hideux de « l’athénée » (*) qui nous brima jadis tous les deux, ou bien au départ d’un tire-fesses alpin ou celle que nous eussions pu avoir au chevet des patients dans les années ’80 si Marc et moi avions exercé nos méfaits dans les mêmes institutions : il est autant chirurgien défroqué que j’ai jeté la blouse banche aux orties, et pour des raisons du même ordre, sinon identiques.

Sur le coup de 10 heures du soir, notre oeuvre accomplie, nous avons entrepris de rejoindre Corneilla pour un repas très convivial et bien arrosé, point final d’une belle journée.

 

(*) Un athénée désigne en Belgique l'établissement scolaire qui "accueille" les élèves entre l'âge de 12 et 18 ans. Il correspond peu ou prou au collège et aux classes de seconde, première et terminale. Le nôtre était réservé aux garçons et particulièrement autoritaire et rébarbatif.

 

 

 

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