QUE DU RESPECT, ÉRIC

 

Je pourrais en faire des tonnes sur ma longue amitié

avec le Comte de Saint-Victor ....

Ce serait du pipeau.

Je voudrais dire à Eric, au travers de ces quelques anecdotes,

que c’est un homme pour qui j’ai du respect qui s’en est allé.

 

 

 

Ceci est mon blog, et ce billet sera très personnel. Cependant, c’est à Éric que je le destine en l’écrivant.

 

Nous sommes en décembre 1986 et je suis invité dans un petit appartement parisien. Petit pour un Bruxellois, mais avoisinant probablement les 50 m2 ou plus, donc grand à Paris. Moi, modeste interne à Bichat et impécunier boursier de la communauté flamande, je dispose de 22 m2 du beau côté du 18ème, proche des filles aux Abesses que je salue même d'un sourire lorsque d’aventure je rentre chez moi le soir par un petit détour.

 

Et dans cet immeuble parisien, un couple de collègues a convié quelques amateurs de vin, pour me faire honneur. On boit, une première pour moi, deux grands vins de France : du Château de Pibarnon et du Château Simone. Il faut dire que notre hôtesse d’un soir est aquisextaine, comme Sonia, la femme de Jérôme Pascal au Domaine du Galantin.

 

Guère plus tard, c’est sur la Colline du Télégraphe (allusion à Chappe bien entendu) que je rencontrerai M. de Saint-Victor, pour le compte du magazine Semper, car In Vino Veritas n’existe pas encore. Il parle vite, on ne l’interrompt pas. D’une part, il ne se laisse pas interrompre ; d’autre part, ce qu’il dit m’intéresse. Il raconte son arrivée – rien sur sa vie antérieure, à l’opposé de plein d’autres – et le vignoble récemment planté qui s’écroule sous l’effet des pluies dans les mois qui suivent, au début des années ’70. Il raconte les sols, la géologie. Il raconte pourquoi les tannins doivent se fondre. Il raconte pourquoi il fait égrapper, mais pas tout. De ses cavistes successifs – c’est ainsi qu’on désigne le responsable du chai, à Bandol - j’en rencontrerai plusieurs par après, jusqu’à Meursault et sur Porqueroles, et eux raconteront aussi, sans jamais de critique. De ses fermiers, j’en rencontrerai aussi, sur le Chemin de l’Argile, et à Fontanieu, et tous me diront les beaux raisins qu’il leur prenait.

 

Enfin, après avoir raconté, il m’explique aussi que, le succès étant arrivé, il n’a plus besoin des concours, des médailles, du cinéma à présent et que ce relatif éloignement le fait passer pour un orgueilleux, un snob. Et puis il me file des échantillons, pour que je comprenne, pas pour se concilier mes bonnes grâces : du 1982, du 1985 ... que des bons vins.

 

Je suis retourné souvent là-haut et il m’a dit un jour : - « M. Charlier, avec vous je ne suis pas obligé de dérouler le tapis rouge ». Et de fait, je n’ai jamais franchi le seuil de la maison, jamais mangé avec la famille, jamais même rencontré sa fille. Ce doit être un des seuls domaines à Bandol, à l’époque. Plus tard, c’est son fils qui a repris le flambeau et j’ai toujours été traîté de la même manière : une relation professionnelle accueillie avec considération, pas un copain. Mais pas non plus un pigeon à charmer. J’appartiens effectivement à un monde différent et c’est fort bien ainsi.

 

Dans le Bandol, petite appellation close avec ses histoires, ses mesquineries, ses clans – comme dans beaucoup d’autres - Pibarnon s’est fait ostraciser. Lors de certaines fêtes du millésime, le domaine n’avait pas droit à son stand sur le front de mer mais « tenait estaminet » dans une rue latérale ... où la foule se pressait. Mais jamais je n’ai entendu de critique sérieuse. Un peu de jalousie, oui ; de la distance, certes ; mais pas de réel reproche.

C’est peut-être cela le vrai mérite d’Henri de Saint-Victor : lui, l’aristocrate citadin, a su imposer son domaine en dépit de sa différence. Quant aux propriétés qui font partie du cercle de mes amis, je n’ai jamais entendu que des appréciations élogieuses sur les vins de Pibarnon de leur part. Mais bon, à Bandol, ceux qui sont mes amis sont aussi des gens biens.

 

Avec Eric, je partage un souvenir étonnant. La fête du millésime se tient traditionnellement au cours du premier week-end de décembre. La dégustation se déroule sur le port le dimanche. Mais d’autres activités ont également lieu, qui débutent le vendredi soir par un repas solennel rassemblant toutes les huiles locales, les pourris du département – et Dieu sait si le Var en est riche – les journalistes et tutti quanti. Beaucoup de domaines y réservent une table et j’ai eu la chance d’y être souvent invité. Une année, cet événement occupait une grande salle près d’une mairie ou d’une école, au Plan ou dans le bas d’Ollioules ou Sanary, je ne me souviens plus bien. On m’avait placé à une table ronde où il n’y avait que des élus, dont le maire de Bandol, je crois, et des notables du coin. L’adjoint décrivait les convives un à un à son patron et, arrivé à Eric et à moi, assis côte à côte, il lui dit : - « Et eux, je ne les connais pas, ce doivent être des vignerons ! ». Je jure que c’est vrai.

 

Enfin, pour terminer mon récit, vous découvrez deux Eric sur l’illustration : à gauche, le désormais solitaire maître de Pibarnon, immortalisé en plein travail alors qu’il fait déguster le vin de l’année lors de la fête de décembre 1997 (d’après la date figurant sur le cliché, un argentique que j’ai scanné) et puis Eric Maquet, architecte liégeois amateur de vin qui m’avait accompagné « pour le plaisir ». Aujourd’hui, il dirige une école privée de marketing, CAD, installée à Uccle. La photo date de 1991 ou 1992, car le break Opel immatriculé en Belgique était la voiture mise à ma disposition par mon employeur de l’époque, un des piliers du Quatrième Reich basé à Leverkusen. Nous sommes là sur la terrasse devant la belle demeure provençale, qui domine tout l’hémicycle de vignes. Spendide, retiré et paisible ... sauf pour les semi-remorques qui doivent venir faire les enlèvements au péril de leurs multiples essieux !

 

Voilà, plutôt qu’un in memoriam sinistre,

je tenais à offrir à Eric de Saint-Victor

le résumé d’un quart de siècle d’estime

pour son père, ses réalisations et

le souvenir de plein de moments agréables.

Bon courage, Eric.

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Michel Smith (jeudi, 02 mai 2013 18:25)

    Belle description d'un homme que j'admire encore...