LE BLEU DES CAUSSES : UNE INSIGNE RÉVOLTE CONTRE L’AGRO-ALIMENTAIRE

L'héritière des "caves bâtardes"
L'héritière des "caves bâtardes"

La semaine passée, en achetant un demi-fromage d’appellation contrôlée (dans le sens de réprimée) à

Rivière-sur-Tarn, je n’avais aucune idée des brimades encourues par ses producteurs pour leur faire courber l’échine devant les diktat du Roquefort, lisez le grand capital fromager industriel.

 

Anecdote : nous étions partis de bonne heure livrer la moitié de nos clients lozérois. Quittant Aguessac en direction des Gorges du Tarn, voilà-t-y pas que je tombe « calandre à façade » – la version automobile du face à face – avec le bâtiment que je vous montre en photo. Nous nous arrêtons derechef, d’autant qu’une pancarte indique : « Bleu des Causses : dégustation et vente ».

 

Une salle d’accueil voûtée donne sur une petite pièce destinée à une projection promotionnelle. Quelques fromages sont exposés dans une vitrine réfrigérée, dont certains arborent la marque « Président », à mon grand étonnement dans ce lieu pastoral et rural. Et une improbable Mère Denis de faire son apparition. La « dégustation », un plateau où on a déchiquetté un peu de fromage en petits cubes disparates, plutôt des éclats ou des brisures d’ailleurs que des cubes, nous permet toutefois de mettre en bouche un fromage bleu onctueux, légèrement acide et un peu trop salé à mon goût. Toutefois, il nous plaît et nous décidons de ne pas repartir les mains vides. A la vente, on vous propose des « demis » bien emballés, au prix de 11 € le kilo. Je vérifierai ce qu’il coûte en GD et vous tiendrai informés ... pour se scandaliser un peu.

 

La vendeuse répond avec amabilité à mes questions, mais aussi avec lassitude et comme un peu de tristesse : oui, le fromage est affiné ici, mais il est élaboré « par le groupe auquel on appartient dans le Haut-Aveyron, à Rodez ». Ses réponses m’intriguent mais je n’en saurai pas plus et nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir .... tant au propre qu’au figuré. A la Coume Majou aussi, le productivisme et la rentabilité laissent des traces !

Je pense qu’elle souhaite garder sa place, notre mère Denis : on ne rigole pas, chez Zürcher.

 

Mais on s’est renseigné pour vous : le Bleu des Causses, ex-Bleu d’Aveyron, provient de lait de vache (des alpines, des Montbéliardes, des Aubrac) broutant en Lozère, dans l’Aveyron et le Lot, parfois sur le Causse Méjean ou le Causse Noir. Les pauvres sols calcaires autour de Millau ne font généralement pas de gras pâturages. Ils ne donnent pas des coteaux de vignes transcendants non plus, soit dit en passant.

 

Pour la fabrication, cliquez ICI.

 

Par contre, l’histoire de la naissance de ce type de bleu vaut la peine. On appelait « caves bâtardes » les caves d’affinage sud-aveyronnaises qui produisaient du « faux Roquefort », provenant pourtant de lait de brebis également et élaboré de manière similaire. Après procès et intrigues, les « gens du Combalou » ont pu établir une espèce de monopole par une loi du 26 juillet 1925 qui fixait les spécificités de l’appellation Roquefort.

La ruine d’un nombre considérable de fromagers qui faisaient de la « contrefaçon » signa par la même occasion la naissance du Bleu d’Aveyron, au lait de vache celui-là. Il possède son appellation d’origine depuis 1953. Malheureusement, à l’inverse du Roquefort, on impose à présent la pasteurisation du lait (une cuisson à 68°C dans ce cas-ci).

Il est évident que les Listeria spp. choisissent spécifiquement de s’installer chez les descendants des « bâtardes » et que ce sont surtout les enfants en bas-âge, les immuno-déprimés et les pensionnaires des unités de soins spéciaux pour grands vieillards qui dégustent ce type de fromage. La décision est donc fort justifée.

 

Mais grattons plus loin.

Depuis 1856, la « Fromagerie des Gorges du Tarn » que nous voyons là élaborait le fromage qui allait être affiné dans les caves naturelles de Peyrelade, creusées dans les éboulis calcaires. Je fais un énorme bond dans le temps et nous retrouvons cette société à Onet-le-Château (dans la banlieue de Rodez) en 1961.

Elle change plusieurs fois de nom – et de groupe propriétaire – pour s’appeler Valmont en 1985.

En 1991, le patron c’est ... Perrier. C’est fou, non ? Et Perrier en a marre, du frometon. Qu’à cela ne tienne, on revend à Besnier, vous savez, le gros vilain du ... Camembert.

D’accord, depuis 1999, Besnier c’est Lactalis, vous savez, ceux qui ne veulent plus faire de l’AOC au lait cru. Ils « pèsent » 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, tout de même, forcément des bienfaiteurs de leurs salariés et des apporteurs de lait, pour en être là.

Ah oui, anecdote : .... ils possèdent la marque Président.

 

Outre celui des emballages « où c’est qu’y a marqué Peyrelade dessus », que nous avons acheté, le Bleu des Causses de Lactalis se vendait sous une marque ... savoyarde : Beulet, sans trop de battage publicitaire. Résultat : on est passé de 2.000 tonnes de vente par an dans les années ’90 à 800 tonnes 20 ans plus tard. A titre de comparaison, 63 % des 17.000 tonnes de Roquefort vendu dans le monde appartient au groupe – près de 11.000 tonnes si je compte bien.

 

A compter du début 2008, changement de cap : le Bleu venu des Causses se vend lui aussi sous la marque .... Société ! Quoi, société, c’est de la vache ? Et pasteurisé ?

Le plus « amusant » est que, à l’origine, ce sont les partisans du Roquefort qui voulaient se débarrasser de leurs « cousins au lait de vache » en leur rendant la vie dure. Et là, ils portent à présent le même nom ! « Qui se déteste s’assemble », voilà le nouveau dicton.

 

Attendez, ce n’est pas fini : depuis le début 2011, le Roquefort « Société » se vend à l’étranger sous la marque .... « Président » ; si : le bon beurre de Normandie et ses bons camemberts au lait aseptisé.

Pourquoi ? Parce que le premier marché européen, et de loin, c’est l’Espagne et que, en Espagne, la marque Président possède une forte visibilité et tourne du tonnerre .... tonnerre de Bresse Bleu évidemment !

 

J’arrête-là, à cause de l’écoeurement.

Pourtant, je ne le trouvais pas mauvais, dans les Gorges du Tarn, mon Bleu des Causses. Ce midi, j’en ai fait une sauce – légère – pour accompagner la bavette de boeuf Aubrac .... snif !

 

J’espère que ce n’est pas du Charal, mon Aubrac ....

 

 

 

 

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