DES ÉCHELLES DE LISSON POUR ATTEINDRE LA TABLE DE ROUEÏRE

Les "Echelles de Lisson 1999" et la terrasse de "La Table de Roueïre"
Les "Echelles de Lisson 1999" et la terrasse de "La Table de Roueïre"

 

 

„Du söllst beim Table de Roueïre informieren, die Küche ist sehr verfeinert und die Weinkarte ausgestreckt“,

 

 

 

 

... ou quelque chose d’approchant et avec mes fautes d’allemand en moins, avait pensé Iris Rutz-Rudel.

Et même plus que pensé : elle l’avait communiqué à Christine, par réseau social interposé.

 

Qui est cette Iris ?

 

Une vigneronne que j’ai cyber-rencontrée au hasard des blogs de certains amis et qui, souvent, exprime des opinions assez proches des miennes. Elle serait allemande et vivrait « à la soixante-huitarde » depuis pas mal de temps là-haut du côté d’Olargues, au lieu-dit de Lisson, en plein pays du « Vin Bourru » de Jean-Claude Carrière. Cela fait une petite année que je nourris le dessein de lui rendre visite, sans en trouver l’occasion.

 

Quelle est cette table, et ce Roueïre ?

 

La même Christine m’a dit : « J’ai fais une super-dégustation avec un chef qui aime le vin et avec sa femme qui aime beaucoup le Maury. Tu devrais le rencontrer. » Ça, c’était l’étape numéro un.

 

Quelque temps plus tard : « Tu sais, à la Table de Rouergue, j’ai livré un carton mal identifié et il faudrait qu’on aille l’échanger ». C’était l’étape numéro deux et je ne savais rien de cette table dans le lointain Rouergue – où nous avons aussi des clients. Mais, comme je suis bon garçon, je l’ai accompagnée pour l’échange. A ma grande surprise, nous nous sommes retrouvés d’abord à Cuxac d’Aude, puis à Montels, puis à Capestang ! Christine y a vécu une partie de sa jeunesse et son frère y habite toujours. Les cars de touristes ou les plaisanciers du canal visitent encore la maison de sa grand-mère, en chuchotant : « Ici vivait la mamy de Christine Civale ! ». En filant vers l’ancien collège, on passe ensuite le pont sur le canal, on tourne tout de suite à gauche vers la Forêt de Fontcouverte et on débouche quelques kilomètres plus loin sur ... le domaine de Roueïre, une ancienne grande propriété viticole locale qui abrite maintenant un musée de la vigne et du vin, une boutique de vin et surtout le restaurant gastronomique de Laurent Crouzet : « La Table de Roueïre ».

 

L’étape numéro trois a consisté – hier en fait, au décours d’une dégustation à Agde qui devait ensuite nous conduire à Vinisud – à revenir sur nos pas tout à fait à l’improviste et à ... rencontrer le chef et sa cuisine.

 

Je ne suis pas critique gastronomique. Je ne vole pas en aile Delta, comme un Petit Fûté qui suit la Cityvox populi, et qui Millaule tout de Gault après les Internautes. Mais nous avons quand même fort apprécié le menu « Terroir » avec ses samosas de ris de veau et son civet de lièvre, parmi d’autres alternatives tout aussi alléchantes. Inutile de se cacher : on a très bien mangé et beaucoup plus qu’il n’était raisonnable pour un lunch non prévu au programme. Encore n’était-ce que le « petit » menu. Il en existe trois autres (dont un autour de sa majesté homardine), très sagement tarifés, que nous aurons l’occasion d’essayer, j’espère, quand le Crédit Agricole recommencera à me parler .... et plus si affinités.

 

Mardi midi du congé de février oblige, seule une partie des tables était remplie et nous avons pu bavarder lors de notre arrivée précoce (et ensuite en fin de service). J’ai évoqué Iris et le chef m’a suggéré de goûter un de ses vins, ce que je n’avais jamais eu l’occasion de faire. Au prix d’une petite entorse budgétaire au milieu de notre programme d’austérité pré-électoral, nous avons découvert un cru réellement passionnant : les Echelles de Lisson 1999.

 

J’étais au courant de la « présence » de cépages bordelais dans son assemblage, pour partie, et nous avons cru y discerner du mourvèdre, à l’aveugle. En fait, il s’agit des deux cabernets et du côt, point barre.  La robe est encore très foncée, grenat et marron. Le nez, franc et ouvert après une petite dizaine de minutes de carafage, offre toute les nuances du cuir, de l’encaustique et de la lignée terpénique, avec aussi de la prune et des épices de garrigue. En bouche, l’attaque est vive sans âpreté, le milieu très suave et la finale développe des tannins présents mais tendres, très serrés, avec un soutien acide adéquat. On reste perplexe devant les 12,5 vol % de l’étiquette.

 

 

Si je me résume : (i) dégustation en clientèle à Agde satisfaisante en tous points, (i) découverte en retournant sur le Bitterois d’une table excellente, animée par un couple très sympathique et manifestement amoureux de son travail, (iii) vidange goulue d’un très bon vin rencontré pour la première fois.

 

Il manque l’anecdote qui tue : le jeune commis de salle - qui a néanmoins déjà compris toutes les nécessités du métier et à qui j’adresse un sincère bravo pour sa gentillesse et son à-propos - a décanté cette vénérable bouteille après l’avoir placée dans un porte-bouteille en inoxydable, sur l’injonction du patron. Il fallait la décanter, sans aucun doute. Le « hic » fut que le cul du flacon ne s’est pas plû dans l’acier et l’a montré en venant taper violemment ... la nape, nous permettant de juger à la fois de la couleur (linge de table blanc), de la température (sur nos fronts) et du bouquet du vin (au coin de ma narine gauche) en éparpillant quelques centilitres dans l’atmosphère :

« Disperdere nell’ ambiante » , diraient les Italiens.

 

Le reste du contenu, par un bienheureux hasard, finit dans le décanteur,

puis dans nos verres .... à une vitesse record.  Encore !

 

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Commentaires: 7
  • #1

    Iris (mercredi, 22 février 2012 19:46)

    quelle belle surprise en rentrant à l'instant de Montpellier et Vinisud, où tu aura pu déguster amplement les 3 vins de Lisson (dont les Échelles dans leur version 2007, avec leurs 14,5° doté peut-être encore avec un peu plus de longevité que les maigres 1999;-) à notre Off Hors Piste en compagnie d'amis vignerons et quelques visiteurs égarés du grand truc à côté:-).

    Je te passe ton Allemand (qui semble sortir directement du logiciel de traduction, que fournit l'ami google;-), vu que tu a toujours montré de l'indulgence pour mon pauvre Francais, si souvent maltraité...parce que tu dis du bien de mon vin:-). Pour l'anecdote: c'est le chef lui-même qui l'avait découvert en fond de stock (sans être en solde) chez Philippe Catusse au Chameau Ivre, qui fut un temps notre premier client caviste:-) - et cela inspirer de venir l'année dernière en visite à Lisson, avec toute sa famille (3 générations réunies à la cave)- pour repartir avec un bel échantillonnage des 2001 - Curé, Cèdres et Échelles), qui ont trouvé une belle place sur sa carte, bien entourés.

    Mes négociations avec mon banquier n'étaient pas encore assez réussies, pour y aller, mais qui sait, peut-être un soudain engouement d'amateurs de vin mures et plus de table entre amis que de copains pourra nous permettre un jour,d'y remédier:-).

  • #2

    Luc Charlier (jeudi, 23 février 2012 08:46)

    @ Iris : comme tu l’as compris, l’idée première de pousser jusqu’à Montpellier pour passer une demi-journée à Vinisud (et rencontrer les autres « carignanistes ») ne s’est pas concrétisée. Cela aurait fait encore un bon 200 km de plus et puis, la « foule » me plaît de moins en moins. En fait, je me trouve un peu « entre deux chaises » : le grand « barnum » d’à côté, que tu dénonces, ne me botte guère à moi non plus, mais la kyrielle de gens « alternatifs », simplement pour être alternatif, me met mal à l’aise. Notre génération – on doit être à peu près de la même – s’était révoltée contre un système absurde, en étant la première à s’y opposer, après la « vie facile » (« Easy living » , Uriah Heep) des années ’60 ou ’70. Il y a à présent tellement de contradictions que je ne sais pas trop par quel bout les prendre. Un seul exemple : je suis maintenu en vie (et avec confort) par de l’insuline produite par des E. coli recombinantes, mais je refuse obstinément de manger des croissants venant d’un « point chaud ». Cela donne à réfléchir sur mes propres incohérences.

    Mon allemand est spontané, je veux dire par là qu’il provient exclusivement de mes structures associatives personnelles, les zones de représentation linguistiques de notre ami Wernicke dans le lobe temporal gauche. L’allemand est ma cinquième langue (chronologiquement) et je l’ai appris sur le tas en 3 occasions majeures : une excellente amie est viennoise, le vignoble de qualité le plus proche de Bruxelles est la Mosel-Saar-Ruwer et j’ai travaillé 3 ans au sein du dépt. médical de Bayer en Belgique. Sinon, j’ai fait quelques chapitres de l’Assimil et 30 heures à l’école Berlitz. Donc, c’est du resucé de flamand, avec un peu de dico. Je ne connais que mal la grammaire. En fait, je parle beaucoup plus facilement que je n’écris (ce qui est bizarre), je mets les mots à leur bonne place mais ... les accords sont catastrophiques. Les germanophones sont généralement très surpris car je parle vite et comprends bien les dialectes, mais je commets des fautes que les enfants de travailleurs turcs émigrés ne font plus à partir de l’âge de 4 ans ! Et quand je ne connais pas un mot ... je l’invente !
    J’avais été invité à Artvinum 2009 à Stuttgart et, le soir de gala (en veston !!!!!!!), j’ai passé la soirée entière à « traduire » pour une journaliste originaire de Hambourg ce que nous expliquait le président d’une cave locale, qui ne parlait que son dialecte des Schwaben. Je le comprenais mieux qu’elle. Je pense que le verbe « übersetzen » trouvait ici sa signification étymologique la plus juste. Cela étant, je te promets de me remettre à une étude plus consciencieuse dès que je serai .... à la retraite.

    Pour des raisons historiques – pas le temps – je n’ai pas approché les cavistes en France. En Belgique par contre (pays plus petit et modeste notoriété dès le départ, liée à mes occupations antérieures), c’est par eux que je suis représenté : mes « importateurs » ayant eux-même aussi un magasin de détail.
    Donc, Christine approche la restauration « en direct », sur toute la partie sud du pays. C’est une méthode qui prend beaucoup de temps, coûte pas mal d’argent en déplacements mais elle nous convient dans son esprit. Je ne sais pas si j’oserais la recommander.

    Et les banquiers, ach ..... Ce métier a changé. Avant – syndrome du Vieux Con cher à Berthomeau – le banquier connaissait son client, évaluait son risque individuel et ... se faisait payer en conséquence. Maintenant, il s’agit d’un(e) employé(e) qui change tout le temps, connaît à peine le dossier, s’absente 3 jours par semaine (séminaire, maladie, RTT, grossesse ...) et applique des règles actuarielles. Banque et assurance sont devenues la même chose. On vous répond presque toujours : « Ce ne sera pas possible » et non pas : « Modifions le projet pour trouver une solution. »

    Pour revenir à tes « échelles », j’ai bien aimé l’harmonie de ce vin, mais c’est un mot qui n’a de signification que pour moi, peu descriptif et donc je l’évite quand je communique vers les autres. S’il y avait eu 2 bouteilles, on les aurait bues facilement. En plus, j’aime d’habitude les vins avec un fort soutien alcoolique et je n’ai pas trouvé le tien « maigre », d’où ma surprise – je n’ai pas écrit incrédulité – devant le titre annoncé.

    Salut à toi !

  • #3

    Gérard Garroy (jeudi, 23 février 2012 14:30)

    La vie est quand même incroyable !!! Je quitte Vinisud après avoir passé plusieurs heures aux côtés de cette grande Dame du vin qu'est Iris, et en arrivant au bureau... Paf ! C'est mon ami Luc qui écrit (fort bien !) sur Madame Rutz-Rudel.... :-)
    Dans l'expérience (indispensable) que doit avoir tous les sommeliers, je me rends compte à présent qu'il me manquait celle de cette rencontre. Avec toute son humilité, sa grande retenue et sa patience, "Mme de Lisson" m'a donné de son temps et a partagé sa passion. Je lui ai fait parvenir quelques notes de dégustation et je suis heureux qu'elles se rapprochent des tiennes mon cher Luc. J'ajouterai que grâce à Iris, je suis revenu à un point que j'oubliai trop souvent dans ce monde (du vin) qui avance (trop !?) rapidement.....c'est qu'il faut laisser du temps au temps et du temps au vin ! Apprécier une bouteille du vignoble de Lisson ça se mérite !!! Par de la patience, par un service adéquat et par la volonté de mettre de l'argent dans une très grande bouteille loin des flacons de buveurs d'étiquette...!!
    Merci Iris pour cette belle et nécessaire rencontre instructive ! Je me sens moins bête qu'avant nos conversations ! :-)
    Bise à Luc et grosses bises à Iris !!!! :-)

  • #4

    Gérard Garroy (jeudi, 23 février 2012 14:35)

    Encore une petite chose Luc .....
    Lorsque tu dis que : "le vignoble de qualité le plus proche de Bruxelles est la Mosel-Saar-Ruwer" ...... t'es sûr de ne rien oublier !!?? :-))

  • #5

    Luc Charlier (jeudi, 23 février 2012 17:29)

    Gérard,

    C’est incroyable, les coïncidences. Et en même temps, est-ce que c’en est vraiment une ?
    Les gens réellement CURIEUX et désireux de découvrir les bons vins – et tu en fais partie – finissent toujours par atterrir aux mêmes endoits. Par ailleurs, j’ai bu le 1999 de Lisson, ce n’est pas tellement vieux et je pense que, même jeune, ce vin m’aurait comblé, surtout en accompagnement du lièvre.
    Par contre, tu me poses une colle : un vignoble de qualité plus proche que la Moselle ?
    Trêves est à 30 min de Luxembourg, elle-même à 220 km de chez nous.
    Bon, il y a quelques bons vignerons au GDL, c’est sûr. Mais, d’une part il ne sont pas légion, d’autre part j’inclus – abusivement sans doute – cette région dans la voisine allemande (même sol, même climat, même types de vin).
    Sinon, l’Alsace est à un bon 200 km plus loin et la Loire, même la Touraine, encore plus.
    Vers le nord, rien. Vers UK, bof ....
    Beaune, c’est presque 600 km.
    Dis-moi, ami, qu’est-ce que j’ai oublié ?
    PS : Je ne bois JAMAIS de Champagne et ce n’est PAS un bon vignoble, à mes yeux.

  • #6

    Luc Charlier (jeudi, 23 février 2012 17:49)

    Gérard,

    Un autre commentaire quant au temps.

    Tu as été un sommelier de renom à une époque où beaucoup de restaurants proposaient des bouteilles ayant passé un certain temps en cave, à des gens qui savaient les apprécier et acceptaient de les payer. En outre, le vin était somme toute beaucoup moins cher que maintenant, même dans les restaurants huppés.

    La vente du vin a changé et toi tu as changé un peu de métier, donc d’angle de vue.

    D’une part, si on excepte de très grandes maisons, les restaurateurs ne mettent plus à la disposition de leurs sommeliers des « vieilles » bouteilles. D’ailleurs, de moins en moins de clients les apprécient.
    En outre, même les « négociants en vin de jadis », comme les « Lafite » à Bruxelles ou les antennes « pour particuliers » des grosses boîtes d’antan (M. Marot père chez Breuval, ou Les caves de France ....) ne proposaient pas des TRES vieux vins.
    Maintenant, tu le sais mieux que moi, la fameuse rotation des stock impose des ventes rapides.
    Et les clients achètent et boivent des vins jeunes.

    Enfin, nous avons tous entendu le vieux Bourguignon dans sa cave dégueulasse, ou le Castelpapal dans son bouge, ou l’obscure petit gars de la plaine à maïs de Saint-Emilion, nous dire, il y a 30 ans : « Aujourd’hui, il n’est pas très bon, mais vous verrez dans 10 ans ... ». Et nous savons tous qu’ils mentaient et qu’un vin peut s’adoucir avec le temps, certes, mais qu’un mauvais vin restera un mauvais vin et même se dégradera probablement.
    Toutefois, il est vrai qu’on vinifie plus sur le fruit, que les tannins sont plus mûrs, que les peaux sont cueillies sans maladie, que les mises sont mieux faites à présent. Donc les vins sont plus vite prêts à boire. Mais ceux qu’on destine à la garde « tiennent » facilement 15 ou 20 ans, surtout avec une capsule à vis !

    En ce qui te concerne, tu as la chance d’encore avoir la culture du vin évolué (de qualité, pas la vieille vinasse couleur coca-cola et à l’odeur d’écurie, genre Beaujolais Villages de 1967 ouvert hier pour nous honorer) ET la connaissance du vin très jeune, par tes fonctions. Le meilleur des 2 mondes en somme.

  • #7

    Michel Smith (dimanche, 04 mars 2012 15:54)

    J'ai enfin compris, Léon, pourquoi tu n'as pu rejoindre notre folle équipée (off dans le in) carignanesque. Et comme en plus c'était pour le vin d'Iris... Bises à tous !