MOINS TRISTE QU'UN IN MEMORIAM

Bon appétit, M'sieur mon Père !
Bon appétit, M'sieur mon Père !

Certains trouvent que je manque de pudeur, physiquement et au niveau de mes sentiments.

Personnellement, je n’ai pas l’impression d’être un exhibitionniste – d’ailleurs vous risqueriez d’être décus – mais accepte de bonne grâce le qualificatif d’extraverti. Une pneumologue qui m’examinait aux urgences de la VUB il y a une dizaine d’années alors que j’étais en détresse respiratoire (à cause d’un antagoniste calcique mais nous ne l’avions pas encore découvert à ce moment-là) avait consigné dans le dossier médical : « ontremd » (désinhibé). Je pense moi qu’elle-même était un peu « coincée ». Mais ça, c’est une question de point de vue.

 

Donc, l’impudique que je suis va vous livrer avec retenue un grand moment de bonheur.

 

ACTE UN

 

Mon père est mort au printemps dernier, le jour du Vendredi Saint, je crois. Il était né un dimanche de Pâques : pas mal pour un athée, bouffeur de curé même à ses heures. Un de ses restaurants favoris, car il aimait bien manger sans être du tout un obsédé de la table, se trouve en plein centre de la magnifique Cité de Carcassonne. Nous y avions mangé avec lui, et mon ami Xavier Vanderghinst si mon souvenir est bon, fin juillet 1995. Il y était retourné avec ma mère, et tous deux en parlaient souvent.

 

ACTE DEUX

 

Fin 2009 - début 2010, Christine et moi avons eu le privilège d’aller montrer nos vins au responsable de l’établissement, un Limouxin de grande expérience, passé par Tain l’Hermitage, puis chez Alain Chapel et ayant officié comme sommelier à ... Eugénie-les-Bains, rien que cela. Il avait avec lui des sommeliers stagiaires. Je pense qu’il a apprécié ma gamme et nous a dit qu’il envisageait de nous référencer ... dès qu’il aurait une petite place sur sa magnifique carte des vins, déjà très éclectique.

 

ACTE TROIS

 

Servant deux ou trois des meilleures tables de ce coin de l’Aude, et appréciant la ville, nous sommes passés souvent devant la carte du lieu, avec l’envie - réfrénée - d’y manger. D’une part, on ne sert que le soir, d’autre part, la qualité offerte s’accompagne très logiquement d’une addition qu’un « pôvre vigneron » ne peut pas se permettre trop souvent. Toutefois, nous essayons – et y arrivons dans une large mesure – de faire honneur régulièrement aux établissements qui nous font confiance, joignant ainsi la reconnaissance au plaisir.

 

ACTE QUATRE

 

Dès la mise en bouteille de notre blanc, la Cuvée Civale, au printemps dernier, Christine est allée faire une deuxième dégustation et, fidèle à l’intention annoncée l’année d’avant, on nous a commandé .... notre vin Blanc de la Coume Majou et aussi La Loute, le pur carignan vieille vigne. Il est amusant que ces deux cuvées fassent référence à la femme de "toute ma vie » – la Louloute adorée chérie - et à la compagne de "ma vie de vigneron » - alias Civale (prononcez « Tchiválé » avec l’accent tonique sur la deuxième, difficile pour les francophones, je le sais).

 

ACTE CINQ

 

La « vioque » largement évoquée dans ces billets voulait fêter dignement les 55 ans de votre serviteur et avait – à ses propres dires – « fait une petite cagnotte ».

Sa mère à elle, qui m’a élevé sinon éduqué, et en tout cas fait grandir, utilisait la même expression dans les mêmes circonstances.

A charge pour moi d’organiser les agapes.

Et c’est ainsi que Monique Dehaze-Charlier, Marie-Christine Civale et moi nous retrouvâmes attablés l’autre soir au restaurant de l’Hôtel de la Cité de Carcassonne : la Barbacane. Autant pour moi : nous avons d’abord pris une coupe de crémant de Limoux, bien meilleur que 99 % des champ’, sur la terrasse, entre la tour d’accès (la fameuse « barbacane ») à la ville fortifiée et la façade – presque de style Tudor, bizarrement, avec ses petits vitraux armoriés, les fenêtres de style Renaissance et les murs crénelés – du restaurant.

Dès que la fraîcheur se mit à tomber – on était à la mi-octobre quand même – le personnel nous invita à passer à table. Ce fut « La Barbacane en Fête » pour Christine et moi, « simplement » du turbot et un dessert pour ma mère, 81 ans tout de même et fatiguée par l’ascension – contre le vent en plus - entre le parking et le restaurant, car la ville n’est pas accessible – ou alors il faut être dans le secret – en voiture.

Nous avons dégusté le Sancerre de Vacheron – la « vioque » raffole des vins du Sancerrois – et un magnifique Chabanon, ce qui fit la joie du jeune sommelier, un afficionado de cette bouteille – moi aussi.

 

ACTE SIX – EPILOGUE

 

Six actes, cela fait long pour une pièce, mais celle-ci en vaut la peine. Monsieur Georges Gracia - car c’est évidemment lui qui orchestre toute cette symphonie, avec l’aide du chef bressan, Jérôme Guyon – et Christine m’avaient préparé une surprise : le pianiste – excellent par ailleurs – m’offrit un « Happy Birthday to You » en douceur mais con brio sur ... un gâteau au chocolat "made in" Régis Chanel digne des meilleurs compositions de Pierre Marcolini. Vous savez, ce biscuit chocolaté bien ferme mais onctueux, cette ganache amère et douce à la fois, ce fond craquant comme du crunch et surtout ... l’accord avec un Maury – de la concurrence mais de qualité, je m’empresse de le dire.

 

Merci à ma mère, qui nous a sponsorisés.

Mais je crois qu’elle s’est régalée, car l’image de mon père l’accompagnait, avec une nostalgie heureuse

– une espèce de saudade sans la tristesse des fadistas.

Merci à Christine pour la surprise.

Merci à ... ma pomme pour avoir eu cette idée.

 

Et merci à TOUT le staff de l’Hôtel de la Cité : on n’oubliera pas !

 

 

PS: j'allais oublier de préciser, mais vous l'avez compris au ton de ce billet, que le repas fut remarquable de bout en bout. En fait, un des 4 ou 5 meilleurs dîners des 12 mois écoulés, qui en furent pourtant riches de Perpignan à La Pomarède, de Lorp-Sentaraille à Albi en passant par Chaudes-Aigues. Ce fut aussi le plus chargé en émotion.

 

 

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Commentaires: 7
  • #1

    Marlène vdgz (mardi, 25 octobre 2011 11:40)

    Texte beau et émouvant. Mon homme a raison : lorsque le vin est bon, c'est que le vigneron l'est forcément. On le savait avant, c'est confirmé depuis ton changement de vie. Bon "voyage" à ton père, pensées à ta mère et toute mon amitié à Christine et toi.

  • #2

    Luc Charlier (mardi, 25 octobre 2011 12:03)

    Merci, Marlène.
    Comme je l’ai dit, sans pudeur, lors du repas à l’occasion de votre mariage : On t’aime !
    Tiens, on demanderait bien à ton cousin Pirli un petit swing pour accompagner tout cela.

  • #3

    xavier van der Ghinst (mardi, 25 octobre 2011 12:30)

    c'est toute la famille qui commente: Nos vioques sont en enfer et savourent un de ces Riesling à terroir que l'amateur de Chardonnay ne peut pas comprendre...Pour être précis a propos de cette belle soirée: la seule chose qui était à sec ce soir là était ton réservoir et un soir de 14 juillet rare sont les pompes ouvertes sur le chemin . Heureusement car j'aurias été incapable de pousser...Ghinst

  • #4

    MichelSmith (mardi, 25 octobre 2011 13:38)

    Très beau papier, M'sieur Charlier ! Et mes amitiés à la Civale et à la Mama, que je ne connais pas...

  • #5

    Luc Charlier (mardi, 25 octobre 2011 14:27)

    Merci à toi, Forgeron. Tu rencontreras Madame mère lors de sa prochaine visite, peu après l’an neuf sans doute. A l’instant où je t’écris, la Christine fait déguster nos vins à une restauratrice de ton quartier, et c’est sur ton conseil. « I keep my fingers crossed » car tout le monde me dit que c’est la seconde meilleure table de Perpignan, après Christophe Comes bien entendu.

  • #6

    Luc Charlier (mardi, 25 octobre 2011 14:36)

    @ XVG : Souvenirs, souvenirs. Très beau feu d’artifice effectivement et excellent repas. Je garde un souvenir moins agréable de cette période aussi, dont le temps a heureusement bien adouci l’acuité. Et je me souviens de la Loute (4 ans et demi) passant son bras menu autour de moi pour murmurer : « Tu n’es pas tout seul, Papa, puisque je suis là ! ». Mon aîné, plus prosaïque mais à la formule facile, comme son père, se contenta d’un « Derde keer, goede keer ! ».
    C’est vrai que la vieille 405 avait la jauge à essence bien bas, et depuis longtemps, lorsque nous regagnâmes Gramazie. Le lendemain, une décapotable rouge vif emmenait le jerry-can à la pompe. Et toujours pas de lave-vaisselle pour la pauvre femme d’Yves !

  • #7

    Anatole dit André Domb (dimanche, 30 octobre 2011 14:05)

    Mon cher Luc,
    Je lis ce texte avec retard mais je m'empresse de redire, comme à mes fils, qu'on ne fait bien que ce qu'on aime et c'est bien le cas pour toi. Ce Memoriam réussi est à l'image de ton père qui trône avec son merveilleux sourire en tête du texte.